Transition énergétique au Luxembourg : un parcours semé d’embûches jusqu’à 2030
La réduction rapide des émissions de gaz à effet de serre (GES), responsables de la hausse des températures du globe et entraînant des records qui s’enchaînent à un rythme effréné(1), est essentielle.
En effet, les conséquences de l’accumulation des GES sont plurielles et de plus en plus concrètes. Parmi celles-ci, on peut citer la chute de la biodiversité(2), les déplacements d’espèces indésirables et invasives, l’augmentation de la mortalité et de la morbidité dues aux vagues de chaleur et à l’émergence de maladies, l’impact sur les infrastructures et l’approvisionnement d’énergie(3), les menaces pour l’agriculture et le secteur des assurances(4), et enfin les risques territoriaux, principalement pour les zones côtières qui font face à l’érosion.
Les objectifs ambitieux sont pour le moment tenus
L’Union européenne s’est fixé des objectifs ambitieux, déclinés parmi les 27 pays membres. Pour le Luxembourg, cela se traduit par une réduction des émissions de GES de 55 % par rapport à 2005, une augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale à hauteur de 37 % ainsi qu’une amélioration de l’efficacité énergétique qui devrait entraîner une baisse de consommation de 42 % par rapport à un scénario de référence. L’objectif final est d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Les détails sectoriels ainsi que les moyens pour y arriver sont synthétisés dans le plan national énergie climat qui a été mis à jour en juillet de cette année et repris dans la Figure 1.
Figure 1 : Objectifs de la transition au Luxembourg
Jusqu’à présent, les réductions de GES ont été particulièrement marquées dans le secteur des transports. En effet, la réduction du principal poste des émissions de GES pour le Grand-Duché a été de l’ordre de 43 % entre 2005 et 2023, porté notamment par la diminution du volume de vente de carburant(5). Le chemin à parcourir d’ici 2030 reste long et devrait être soutenu pour moitié par l’augmentation progressive de la taxe carbone(6), qui réduira le différentiel de prix avec les pays limitrophes. Le deuxième poste le plus important en termes de réduction des émissions de GES concerne le bâti, aussi bien résidentiel que tertiaire qui, malgré une baisse de 16 % des émissions depuis 2005, doit encore voir ses émissions réduites de 57 % pour atteindre l’objectif fixé pour 2030.
Des contraintes qui mettent les objectifs à risque
Le Luxembourg fait face à de nombreuses contraintes pour atteindre cette décarbonation, et certaines cibles ne pourront être atteintes avec les politiques actuelles. Dans son bulletin économique portant sur l’électromobilité(7), la Chambre de Commerce explique que, malgré des signes encourageants (au 3e trimestre 2023, la motorisation électrique captait 30 % des nouvelles immatriculations pour les personnes morales et 15 % pour les personnes physiques), le nombre de voitures électriques et hybrides sur les routes risque de ne pas atteindre le but mentionné dans le PNEC, soit 49 % du total du parc automobile.
Le temps réduit pour atteindre les objectifs est une contrainte majeure, partagée par les 27. Pour certains secteurs, il s’agit d’accélérer le rythme et de réaliser, en quelques années, un effort parfois plus important qu’en 18 ans.
Par exemple, le Plan National Énergie Climat (PNEC) prévoit une augmentation de 400 % de la production calorifique à partir de pompes à chaleur d’ici 2030. La capacité photovoltaïque doit également être pratiquement triplée entre 2023 et 2030. Cela créé des tensions sur le marché du travail, soulignées par la Chambre des Métiers(8) qui, en février 2023, s’inquiétait de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans l’artisanat nécessaire à la transition énergétique.
Figure 2 : Évolution des prix pour les consommateurs « commerciaux » aux États-Unis et compris entre 2.000 MWh et 19.999 MWh en Europe
Des conséquences plurielles
La transition a des impacts multiples sur la structure de l’économie et demande des ajustements à différents niveaux pour accompagner les entreprises et les citoyens afin de, notamment, compenser les plus fragiles face aux changements. Des pertes d’emplois pourraient survenir, principalement dans le secteur des énergies fossiles. La baisse prévue de 60 % du volume de vente de carburant aux non-résidents devrait entraîner une réduction de l’activité et des recettes fiscales des 231 stations à carburant recensées en 2023.
La question de l’équilibre se pose également lorsqu’on analyse le défi de la transition dans un contexte de concurrence mondiale. Que ce soit au sein de l’Union européenne ou face aux deux autres grands blocs économiques mondiaux que sont la Chine et les États-Unis, chaque pays voit l’importance cruciale pour le maintien des parts de marché de disposer d’une énergie (verte) abordable. Or, à ce jeu-là, le Luxembourg et l’Europe ne font pas face aux mêmes évolutions des prix de l’électricité qu’ailleurs dans le monde (voir Figure 2). Sur une période comprise entre 2017 et 2023, les prix étaient multipliés par 4,5 au Luxembourg, alors qu’ils n’augmentaient que de 20 % aux États-Unis. L’UE voit le développement des énergies renouvelables comme une réponse à l’inflation des prix de l’énergie(9), mais cela ne va pas sans investissements préalables(10).
La transition énergétique du Luxembourg représente un défi de taille, nécessitant des efforts soutenus pour aligner les objectifs climatiques avec les réalités économiques et sociales. Si les progrès réalisés dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, notamment dans le secteur des transports, sont notables, des obstacles persistent, notamment en matière de déploiement rapide des technologies propres et de reconversion économique. Pour relever ces défis, une coordination étroite entre le secteur public, les entreprises et la société civile sera primordiale. La transition ne doit pas être perçue uniquement comme une contrainte, mais comme une opportunité pour réinventer le modèle économique et renforcer la compétitivité du Luxembourg sur la scène internationale. Atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 ne serait possible qu’en combinant innovations technologiques, politiques efficaces et coopération régionale, tout en assurant une transition juste pour les citoyens.
Cette analyse fait partie d’un recueil à paraître prochainement avec des contributions d’experts présents à la dernière réunion conjointe du conseil d’administration et conseil scientifique de la Fondation IDEA asbl.
Frédéric Meys
Économiste
Fondation IDEA asbl
- (1) Les relevés de l’Organisation météorologique mondiale montrent qu’après 2023, année record en termes de température, 2024 est bien partie pour la détrôner.
- (2) L’érosion de la biodiversité est, selon le dernier rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité, causée principalement par la perte d’habitat, la surexploitation des ressources et en troisième lieu par le réchauffement climatique.
- (3) L’approvisionnement de l’énergie peut être perturbée par les variations extrêmes de température, rendues plus fréquentes avec le réchauffement climatique, mettant à mal la production et le transport d’électricité.
- (4) Les aléas climatiques vont peser sur la rentabilité des assureurs et devoir amener à des adaptations des modèles (voir à ce sujet dans entreprises magazine, n° 126).
- (5) Le STATEC renseigne une diminution de 33 % du volume de diesel vendu et de 18 % du volume d’essence vendus entre 2005 et 2022.
- (6) Dans son analyse de novembre 2023, le STATEC note qu’à l’horizon 2030, « la moitié de la baisse d’émission de ce secteur [NDLR : le secteur du transport] résulterait ainsi des hausses successives de la taxe CO2 engendrant une baisse de 60 % des ventes de carburants aux nonrésidents. » Au 1er janvier 2024, la taxe carbone équivaut à 35 EUR/tonne de CO2 et sera majorée annuellement pour atteindre 45 EUR/T en 2026.
- (7) Actualité et tendances n° 28, Voitures électriques au Luxembourg : maîtriser la transition face aux défis.
- (8) Février 2023, Prise de position Besoin en main-d’oeuvre et en compétences dans l’Artisanat : constats et propositions politiques.
- (9) Le plan REPowerEU a vu l’ambition précédente des énergies renouvelables de 1.067GW réhaussée à 1.236 GW d’ici 2030.
- (10) Dans la décennie en cours, l’impact des investissements prévus sur les finances publiques est estimé dans le PNEC à 1 % du PIB.