Cet article se fonde sur un document de travail du think tank IDEA qui propose de nouvelles bourses d’études pour les futurs talents de la diversification économique(1).

Photo-TippaPatt/Shutterstock
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La diversification économique est une priorité luxembourgeoise depuis au moins 75 ans en raison notamment de sa forte spécialisation sur deux secteurs, la sidérurgie puis la finance, qui ont successivement fait sa prospérité mais aussi sa dépendance. L’État a été particulièrement actif au cours des dernières décennies pour faire émerger et accompagner des initiatives privées sur de nouvelles activités, certaines success stories (place financière, télécommunications, logistique…) ayant dessiné le Luxembourg d’aujourd’hui. Le développement de nouvelles spécialisations pour le futur est largement concentré sur des secteurs à la pointe de la technologie comme l’illustre l’industrie spatiale. Ces secteurs requièrent des spécialistes des domaines des sciences, technologies, ingénieries et mathématiques, communément résumés par l’acronyme STIM. L’économie luxembourgeoise dispose-telle des talents nécessaires à sa stratégie de diversification économique ? Cette question se pose d’autant plus qu’une rude concurrence s’est installée entre les principales économies pour l’attraction et le maintien des talents, notamment scientifiques.

L’Union européenne estime dans sa boussole numérique que 20 millions de spécialistes de l’informatique seront nécessaires d’ici 2030. C’est l’équivalent de 30.000 experts en la matière pour le marché du travail luxembourgeois, un chiffre qu’il faudra fortement dépasser pour devenir une économie leader sur les technologies des données et rendre la place financière davantage innovante.

Des secteurs prioritaires hautement technologiques…

Les secteurs prioritaires visés par le Luxembourg pour diversifier son économie sont principalement les technologies de l'espace, les technologies de la santé, les écotechnologies et la logistique, avec comme moteur horizontal de leur compétitivité la digitalisation, l’économie des données dont l’intelligence artificielle, la décarbonation, l’économie circulaire et l’innovation. La feuille de route pour une économie compétitive et durable 2025 Ons Wirtschaft vu muer, élaborée par le ministère de l’Économie en 2021, esquisse les principaux projets à mener pour faire du Luxembourg un leader sur l’économie des données, tels que le développement du Product Circularity Data Sheet (PCDS), un outil de certification permettant d'établir le degré de circularité d'un produit, ou du cloud souverain national Clarence. Cette feuille de route est complétée de plans plus ciblés comme la Stratégie spatiale 2023 - 2027 élaborée par la Luxembourg Space Agency.

Les start-up, que le Luxembourg vise à faire émerger et à attirer, sont au coeur de la stratégie de développement de ces secteurs prioritaires. Le domaine de la finance est, pour l’instant, le plus performant de l’écosystème de start-up, avec près de 400 FinTechs répertoriées à ce jour sur le site startupluxembourg.com. La diversification au sein du secteur financier demeure fondamentale pour la croissance et la résilience de l’économie luxembourgeoise. Le Luxembourg a lancé en 2020 la Luxembourg Sustainable Finance Initiative, le pays se positionnant de plus en plus sur la finance durable, pour laquelle il est l’une des principales places financières dans le monde.

… en quête de compétences scientifiques, IT et d’ingénierie

Il n’existe pas d’estimation globale du nombre de talents par domaine d’expertise nécessaires à la stratégie de diversification économique, une telle projection dépendant du rythme de développement des différentes spécialisations et de l’évolution des technologies et métiers dans les années futures. L’acquisition des compétences est l’un des piliers de la Data-Driven Innovation Strategy for the Development of a Trusted and Sustainable Economy in Luxembourg, avec pour objectif de construire un réservoir d’experts dans les domaines de la Data Science et de la régulation des données. Selon l’étude PwC Use of Data Analytics and Artificial Intelligence in 2021, le manque de telles compétences est le principal frein à l’intégration des outils d’intelligence artificielle par les entreprises luxembourgeoises. L’Union européenne estime dans sa boussole numérique que 20 millions de spécialistes de l’informatique seront nécessaires d’ici 2030. C’est l’équivalent de 30.000 experts en la matière pour le marché du travail luxembourgeois, un chiffre qu’il faudra fortement dépasser pour devenir une économie leader sur les technologies des données et rendre la place financière davantage innovante.

En outre, le Future of jobs report 2023 du World Economic Forum confirme la prépondérance des compétences technologiques parmi les métiers anticipés en plus forte croissance pour les années à venir dans le monde, avec en top 8 : AI and Machine Learning Specialists, Sustainability Specialists, Business Intelligence Analysts, Information Security Analysts, FinTech Engineers, Data Analysts and Scientists, Robotics Engineers et Big Data Specialists. Concernant plus spécifiquement le Luxembourg et les spécialisations ambitionnées, les différentes stratégies considèrent la présence d’experts de l’utilisation des ressources spatiales, du diagnostic médical, de la santé numérique ou encore de l’ingénierie en logistique comme essentielle à leur réussite. Par ailleurs, la FEDIL prône, dans sa Luxembourg's Industry Strategy de 2021, le renforcement d’une main-d’oeuvre hautement qualifiée possédant une formation scientifique, technologique et technique afin de soutenir le renouveau industriel.

Talents actuels et futurs du Luxembourg

Ainsi, la diversification économique exigera de nombreux experts des STIM, tout particulièrement en lien avec les domaines des technologies de la santé, de l’espace, de la transition écologique ou encore de l'ingénierie financière. En 2021, 23,4 % de la population de 25 à 64 ans diplômée de l’enseignement supérieur l’était dans un domaine des STIM, à comparer à une moyenne de 24,9 % pour les pays de l’OCDE. Les pays de l’OCDE où la population est la plus spécialisée sur les STIM sont l’Allemagne (34,7 %), la République tchèque (33,5 %), l’Autriche (32,8 %) et la Finlande (30,1 %).

La population luxembourgeoise diplômée des STIM est davantage spécialisée sur les technologies de l'information et de la communication (TIC) et sur les sciences naturelles, mathématiques et statistiques par rapport aux autres pays de l’OCDE, et en retrait quant aux domaines de l’ingénierie et de la construction. Les spécialistes des TIC représentaient 7,7 % de l’emploi total des résidents en 2022 selon Eurostat, soit le 2e pourcentage le plus élevé après la Suède dans l’Union européenne. Le nombre de spécialistes des TIC est passé au Luxembourg de 11.300 à 23.900 en moins de 10 ans.

Malgré ces chiffres, le Luxembourg manque cruellement d’informaticiens. Plus de 5.300 postes vacants ont été déclarés à l’ADEM en 2022 sur les métiers des TIC, dont la moitié dans la programmation et le développement de logiciels, soit une hausse de 31,8 % par rapport à 2021. Selon l’étude sectorielle de l’ADEM sur les métiers de l’informatique de décembre 2023, « tous les métiers de l’IT affichent une pénurie très élevée ». Dans l’étude Luxembourg Startup Ecosystem Assessment and Benchmarking réalisée en 2022, Startup Genome constate « des problèmes très importants dans l'accès des start-up à des ingénieurs expérimentés. Les personnes interrogées ont fait état d'une réserve limitée de talents en ingénierie au niveau local. »

Les statistiques disponibles sur les aides pour études supérieures permettent d’anticiper le panorama des futurs talents luxembourgeois. 25,0 % des étudiants bénéficiaires d’aides aux études supérieures de l’année 2022/2023 suivaient un cursus STIM. C’est en progression de 0,7 point de pourcentage par rapport à 2016/2017 et plus faible que parmi les étudiants de l’Union européenne (27,4 %). Le Luxembourg se caractérise par une part importante d’étudiants en sciences naturelles, mathématiques et statistiques (9,5 %) qui le positionne à la 3e place de l’OCDE en la matière, derrière le Canada etl’Irlande. En revanche, avec un pourcentage de 4,3 %, il se situe en-dessous de la moyenne européenne (5,0 %) pour les étudiants du domaine des TIC. Les spécialistes présents au Luxembourg seraient, ainsi, majoritairement des talents venant de l’extérieur, le vivier potentiel en interne étant sous-exploité.

Une très large majorité des étudiants STIM issus du pays suivent un cursus en-dehors du Luxembourg. Si l’Allemagne demeure une destination de choix, ces étudiants ciblent les pays d’études selon la qualité de l’offre proposée par spécialisation. Ainsi, l’Autriche est appréciée pour les sciences naturelles, les Pays-Bas pour l’informatique et la Grande-Bretagne pour les mathématiques. Le pourcentage d’étudiants restant au Luxembourg oscille entre 35,0 % pour l’informatique et 7,1 % pour les sciences naturelles, dépendant ainsi fortement de l’offre nationale d’enseignement supérieur. Par conséquent, le système des bourses d’études constitue un outil performant pour atteindre l’objectif d’une orientation plus affirmée des étudiants luxembourgeois vers les matières STIM, notamment via l’instauration de bonus pour les étudiants des matières scientifiques, d’aides dédiées aux élèves faisant preuve d’excellence ou de partenariats avec des cursus étrangers de haut niveau en sciences du numérique ou en biologie moléculaire par exemple.

Jean-Baptiste Nivet Économiste senior Fondation IDEA asbl
Jean-Baptiste Nivet Économiste senior Fondation IDEA asbl

idea

 

(1) Jean-Baptiste Nivet, Des bourses d’études pour les futurs talents de la diversification économique, Document de travail n° 24, avril 2024.