L’attraction des talents reste un défi pour les entreprises luxembourgeoises. Les politiques d'immigration jouent un rôle crucial dans la capacité d'une nation à séduire des talents de haut niveau, surtout dans un environnement marqué par une pénurie de compétences et une compétition internationale féroce pour attirer les meilleurs profils.

Le nouveau gouvernement luxembourgeois s’est donné comme objectif de « faciliter et d’accélérer les procédures d’obtention de visa pour travailleurs provenant de pays tiers »(1). Promesse tenue. La loi du 4 juin 2024 portant modification de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration (la « loi »), entrée en vigueur le 1er juillet 2024, vient apporter des changements significatifs pour les travailleurs de pays tiers souhaitant s’installer au Grand-Duché de Luxembourg afin d’y exercer un emploi hautement qualifié.

La loi transpose en droit luxembourgeois la directive (UE) 2021/1883 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2021 (2) et permet aux travailleurs hautement qualifiés de pays tiers de rejoindre plus facilement la population active au Luxembourg.

Le présent article met en lumière les principaux changements introduits par la loi, qui ont notamment trait aux conditions d’éligibilité à la Carte Bleue Européenne (« CBE »), aux droits des titulaires d’une CBE qui sont renforcés, au regroupement familial dont la procédure est accélérée ainsi qu’à la mobilité de courte et longue durée d’un titulaire d’une CBE.

Modifications liées aux conditions d’obtention de la CBE

La CBE est le titre de séjour réservé aux travailleurs hautement qualifiés, ressortissants de pays tiers, qui souhaitent venir résider et travailler au Grand-Duché de Luxembourg pour une durée supérieure à 3 mois. Les travailleurs postulant pour la CBE ne sont pas soumis à l’obligation de test du marché de l’emploi, ce qui facilite grandement la procédure en obtention du titre de séjour.

La loi a apporté plusieurs changements importants liés aux conditions d'obtention de la CBE. Pour rappel, pour prétendre à la CBE, le candidat doit répondre aux conditions de hautes qualifications, mesurées par rapport à 3 critères : la nature et la durée du contrat de travail, ses qualifications professionnelles et le montant de sa future rémunération.

Tout d’abord, la durée minimale du contrat de travail a été abaissée. Désormais, il suffit de présenter un contrat de travail valide pour un emploi hautement qualifié d’une durée d’au moins 6 mois (et non plus d’une durée égale ou supérieure à 1 an).

En ce qui concerne les compétences requises, la loi apporte des précisions par rapport à l’appréciation des « qualifications professionnelles élevées ». Par ailleurs, il existe dorénavant une distinction directe entre les professions réglementées et non réglementées.

Enfin, concernant la rémunération, le changement n’est pas opéré par la loi elle-même mais par un règlement grand-ducal (3). Alors que le seuil de la rémunération brute annuelle était jusqu’au 30 juin 2024 de 88.452 EUR, respectivement de 70.762 EUR pour les professions pour lesquelles un besoin particulier de travailleurs ressortissants de pays tiers avait été constaté par le gouvernement, ce seuil est dorénavant de 58.968 EUR pour toutes les professions. Il est donc désormais fait application d’un seuil de salaire unique et considérablement abaissé.

Amélioration des droits des titulaires de la CBE

La loi apporte quelques changements qui tendent à améliorer les droits des titulaires de la CBE, notamment par rapport à l’accès au marché de l'emploi.

Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi, le titulaire de la CBE avait, durant les 2 premières années de son emploi légal sur le territoire, un accès au marché du travail limité à l'exercice des activités rémunérées pour lesquelles il a été admis, auprès de tout employeur. Désormais, un changement d’employeur du titulaire de la CBE durant les 12 premiers mois de son emploi légal sur le territoire est possible, sous réserve d’une communication préalable au ministre. Le droit du titulaire de la CBE de changer d’emploi est suspendu pendant que le ministre vérifie que les conditions d’admission sont remplies, sans que la durée de l’examen ne puisse dépasser 30 jours.

Par ailleurs, le titulaire de la CBE bénéficiera après 12 mois (contre 24 mois auparavant) de l’égalité de traitement avec les nationaux concernant l’accès aux emplois hautement qualifiés, sauf exceptions, notamment pour les professions qui requièrent la nationalité luxembourgeoise.

Enfin, il convient de noter que le titulaire de la CBE peut désormais exercer une activité indépendante subsidiaire en parallèle de l’emploi hautement qualifié qu’il exerce en tant qu’activité principale.

Facilitation de la mobilité des titulaires de la CBE

La loi facilite la mobilité internationale tant de courte durée que de longue durée d’un détenteur d’une CBE.

Mobilité de courte durée

Par principe, durant la période de son séjour jusqu’à 3 mois, le ressortissant de pays tiers n'a pas le droit d'exercer une activité salariée ou indépendante au Luxembourg, à moins d'y avoir été autorisé par le ministre ou de tomber dans le champ d’application de certaines exceptions strictement énumérées par la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et à condition, pour cette 2e exception, que l'occupation sur le territoire luxembourgeois soit inférieure à 3 mois par année civile.

La loi prévoit une nouvelle dérogation. Ainsi, le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’une CBE en cours de validité délivrée par un autre État membre appliquant intégralement l’acquis de Schengen a le droit d’entrer sur le territoire du Luxembourg et d’y séjourner aux fins d’exercer une « activité professionnelle » pour une durée de 90 jours sur toute période de 180 jours, sur la base de cette CBE. Par activité professionnelle, il faut entendre une activité temporaire directement liée aux intérêts commerciaux de l’employeur dans le premier État membre et qui se rapporte aux fonctions professionnelles du titulaire de la CBE dans le cadre de l’emploi pour lequel cette carte a été octroyée. Les personnes concernées sont exemptées de l’obligation d’avoir un visa, une autorisation de travail ou une autorisation autre que la CBE. 

Des conditions supplémentaires sont prévues pour le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’une CBE en cours de validité délivrée par un État membre n’appliquant pas intégralement l’acquis de Schengen (la Roumanie, la Bulgarie et Chypre).

Mobilité de longue durée

Désormais, après 12 mois de séjour légal dans le premier État membre en tant que titulaire d’une CBE (contre 18 mois avant la loi), le ressortissant de pays tiers a le droit d’entrer sur le territoire d’un 2e État membre aux fins d’un emploi hautement qualifié. Cette période est même réduite à 6 mois si le titulaire de la CBE utilise son droit de mobilité pour la seconde fois.

Lorsque la CBE a été délivrée par un État membre n’appliquant pas intégralement l’acquis de Schengen et que le titulaire de la CBE franchit, à des fins de mobilité de longue durée, une frontière intérieure pour laquelle les contrôles n’ont pas encore été levés pour se rendre sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, son entrée sur le territoire est conditionnée par la présentation des documents énoncés ci-dessus ainsi que d’un contrat de travail valide pour un emploi hautement qualifié d’une durée d’au moins 6 mois au Grand-Duché de Luxembourg.

Le titulaire d’une CBE délivrée dans un autre État membre doit introduire, au plus tard 1 mois après son entrée sur le territoire luxembourgeois, une demande en obtention d’une CBE auprès du ministre. Autre changement : la loi prévoit que le demandeur est autorisé à commencer à travailler immédiatement après l’introduction de la demande complète alors qu’auparavant il n’était pas autorisé à le faire tant que le ministre n’avait pas émis une autorisation de séjour.

Ces changements permettent de faciliter la mobilité des travailleurs hautement qualifiés entre les différents États membres de l’Union européenne.

Facilitation du regroupement familial

Dans cette optique, la loi accélère la procédure de délivrance d’une autorisation de séjour aux membres de la famille du ressortissant de pays tiers qui sollicite une CBE. Ainsi, lorsque la demande de regroupement familial est introduite en même temps que la demande en obtention d’une CBE, l’autorisation de séjour des membres de la famille est accordée en même temps que la CBE. Lorsque la demande de regroupement familial est introduite après l’octroi de la CBE, l’autorisation de séjour des membres de la famille est accordée, si les conditions d’un regroupement familial sont remplies, au plus tard dans les 90 jours suivant la date du dépôt de la demande complète, contre 6 mois auparavant.

Par ailleurs, la loi prévoit des dispositions particulières en cas de mobilité de longue durée.

Ainsi, les membres de la famille du titulaire d’une CBE délivrée dans un autre État membre et qui a fait une demande de mobilité de longue durée sont autorisés à accompagner ou rejoindre le titulaire de la CBE, pour autant que la famille était déjà constituée dans le premier État membre. Ces personnes ont le droit d’entrer et de séjourner immédiatement sur le territoire luxembourgeois, c’est-à-dire avant même qu’une demande d’autorisation de séjour ait été introduite et examinée par le ministre, sur la base du titre de séjour en cours de validité qu’ils ont obtenu dans le premier État membre (en tant que membres de la famille d’un titulaire d’une CBE). Il s'agit ici d'une exception considérable puisqu'en principe la demande doit être introduite et examinée alors que les membres de la famille résident à l'extérieur du pays.

La loi règle également la procédure subséquente de délivrance d’une autorisation de séjour aux membres de la famille du titulaire d’une CBE délivrée dans un autre État membre. Ainsi, l’autorisation de séjour est octroyée aux membres de la famille en même temps que la CBE lorsque les conditions requises sont remplies et que les demandes ont été introduites en même temps. Lorsque les membres de la famille rejoignent le titulaire d’une CBE après l’octroi de ladite carte, une procédure accélérée est prévue par la loi, l’autorisation de séjour devant être accordée au plus tard dans les 30 jours suivant la date du dépôt de la demande complète (sauf prolongation).

Il est à espérer que ces nouvelles mesures, ainsi que d'autres à l'horizon (y compris celles relatives au régime des impatriés), encourageront les travailleurs étrangers qualifiés à venir s'installer au Grand-Duché, pays en quête permanente de nouveaux talents.


 

(1) Accord de coalition 2023-2028.
(2) Directive (UE) 2021/1883 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2021 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi hautement qualifié, et abrogeant la directive 2009/50/CE du Conseil.
(3) Règlement grand-ducal du 20 juin 2024 portant modification :

  1. du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008 définissant les critères de ressources et de logement prévus par la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
  2. du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008 portant exécution de certaines dispositions relatives aux formalités administratives prévues par la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
  3. du règlement grand-ducal modifié du 26 septembre 2008 déterminant le niveau de rémunération minimal pour un travailleur hautement qualifié en exécution de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.