Le télétravail frontalier et ses conséquences fiscales sur les
régimes complémentaires de pension luxembourgeois
Dans un contexte post-COVID difficile combiné aux perspectives financières incertaines des retraites légales, les régimes complémentaires de pension ont le vent en poupe. En plus d’assurer un complément de retraite, ces régimes peuvent offrir une sécurité supplémentaire aux salariés et à leurs familles lorsqu’une couverture des risques d’invalidité et de décès vient s’ajouter au volet pension. Ils constituent ainsi un avantage indéniable pour les employeurs soucieux d’attirer et de retenir les talents dont ils ont besoin.
Il conviendra également de s’interroger sur le traitement fiscal des prestations issues du plan de pension lors de son dénouement.
Au Luxembourg, la fiscalité appliquée aux régimes complémentaires de pensions conformes à la loi modifiée du 8 juin 1999 joue un rôle particulièrement galvanisant dans la diffusion des régimes complémentaires de pension sur la place luxembourgeoise. Les primes versées par l’employeur sont imposées au taux forfaitaire de 20 % (l’impôt est à la charge de l’employeur) et sont déductibles en tant que charges d’exploitation pour l’employeur ; l’employé ne subit aucune imposition et peut déduire d’éventuelles cotisations personnelles de ses revenus dans la limite de 1.200 EUR par an. En parallèle, l’évolution du marché de l’emploi est sans appel. Le télétravail, et plus globalement le travail à distance, est devenu une norme de travail incontournable et ne cesse de secouer l’actualité.
Depuis le 1er juillet 2023, l’accord-cadre européen, permettant sous certaines conditions aux salariés frontaliers de télétravailler jusque 49 % de leur temps de travail (contre 25 % auparavant) tout en restant affiliés à la législation de sécurité sociale de leur État d’emploi, est applicable. Cette avancée majeure développée par le groupe de travail constitué par la Commission administrative de l’Union européenne – via une pirouette dérogatoire basée sur l’article 16 du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, en attendant une solution à long terme qui sera ancrée dans le corps même dudit règlement – a fait sauter un blocage majeur à l’expansion du télétravail frontalier et nous force à poser un regard sur les effets du télétravail en matière de fiscalité des personnes physiques.
Le dépassement du seuil fiscal conduit à un partage du droit d’imposition de l’ensemble des éléments de la rémunération des salariés entre le Luxembourg et le pays de résidence, y compris les avantages en nature/en espèces, gratifications, etc. Ce partage du droit d’imposition soulève dès lors la question de l’imposition dans le pays de résidence d’une fraction des primes versées par l’employeur dans un régime complémentaire de pension luxembourgeois.
Début juillet 2023 également, la ministre luxembourgeoise des Finances, Yuriko Backes, et son homologue allemand, Christian Lindner, ont signé un protocole d’amendement à la convention fiscale conclue entre les deux pays, permettant aux frontaliers allemands de télétravailler jusque 34 jours par an (au lieu de 19 jours actuellement) à compter du 1er janvier 2024, tous comme les frontaliers français et belges, sans conséquences fiscales.
Et en cas de dépassement ?
Ce seuil fiscal « uniformisé » dans la Grande Région est toutefois bien inférieur au seuil applicable en matière de sécurité sociale augmenté à 49 % (représentant une centaine de jours de télétravail par an pour un contrat de travail à temps plein). Ainsi, les employeurs luxembourgeois désireux de saisir l’opportunité offerte par l’accord-cadre européen pour offrir une flexibilité accrue à leurs employés en matière de télétravail devront appréhender les conséquences fiscales qui en résultent pour leurs salariés frontaliers, ceux-ci devenant partiellement imposables dans leur pays de résidence en cas de dépassement du seuil fiscal.
Le dépassement du seuil fiscal conduit à un partage du droit d’imposition de l’ensemble des éléments de la rémunération des salariés entre le Luxembourg et le pays de résidence, y compris les avantages en nature/en espèces, gratifications, etc. Ce partage du droit d’imposition soulève dès lors la question de l’imposition dans le pays de résidence d’une fraction des primes versées par l’employeur dans un régime complémentaire de pension luxembourgeois. La réponse à cette question nécessitera une analyse approfondie de la législation fiscale des pays frontaliers du Luxembourg et pourrait entraîner des difficultés pour l’employé si de l’impôt était dû à l’étranger. L’employé ferait alors face à une trésorerie négative dans la mesure où la pension complémentaire ne lui sera pas accessible avant l’âge de la retraite.
Il conviendra également de s’interroger sur le traitement fiscal des prestations issues du plan de pension lors de son dénouement. Les conventions fiscales conclues par le Luxembourg avec l’Allemagne et la Belgique prévoient ainsi une exemption des prestations de pensions complémentaires dans l’État de résidence du salarié (Allemagne, Belgique) sous réserve que lesdites prestations découlent de contributions qui ont été effectivement soumises à l’impôt au Luxembourg. Dès lors, si une fraction des primes n’a pas subi l’imposition au Luxembourg en raison d’un dépassement du seuil fiscal par le télétravailleur frontalier, une imposition pourrait intervenir lors du paiement des prestations issues du plan de pension dans le pays de résidence. L’essor irréversible du télétravail frontalier entraîne de nombreuses questions en matière fiscale, que les employeurs luxembourgeois doivent identifier et étudier attentivement afin d’éviter des conséquences inattendues et non souhaitables pour eux ou leurs salariés.
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