Le nouveau musée de l’abbaye d’Orval en Belgique
De passage à l’abbaye d’Orval en visiteur curieux, en amateur de produits trappistes ou pour quelques jours de retraite, on ne peut manquer d’être frappé par la façon dont l’architecture de ce lieu de spiritualité épouse harmonieusement le site naturel. Tout invite à « laisser du temps au temps » dans cette parenthèse de beauté et de silence si éloignée du tourbillon quotidien de nos existences contemporaines.
Il y a plus de neuf siècles, des bénédictins calabrais s’établirent dans la forêt de la Gaume. En 1131, des cisterciens champenois occupèrent à leur tour le desertum nostrum des comtes de Chiny et entreprirent, sous l’égide de Constantin, la construction d’un solide monastère, fidèles au style déjà caractéristique de l’Ordre. Plusieurs fois incendiée, pillée, détruite et reconstruite au fil des années, l’abbaye, sous l’impulsion énergique de Dom Albert van den Cruyssen, fut rebâtie au 20e siècle (de 1927 à 1948) sur les plans de l’architecte Henry Vaes. Les vieilles pierres, conservées en souvenir des bâtiments conventuels successifs ont encore de quoi charmer qui se laisse toucher par le spectacle nostalgique des ruines. Le nouvel Orval, cependant, n’a plus rien à voir avec les bâtisses en grand état d’abandon que visita Victor Hugo au 19e siècle.
Il s’agissait non seulement de réédifier une antique abbaye, de la concevoir en fonction d’un lieu sacré, chargé de souvenirs historiques et religieux, mais aussi de rappeler son origine lointaine, ses huit siècles de peines et de joies, et de donner à sa physionomie nouvelle un visage tel qu’il soit toujours vivant dans les siècles à venir(1).
Un bel éventail de l’art cistercien
C’est dans cet esprit que vient d’être repensé le musée de l’abbaye. La rétrospective des 900 ans de la fondation d’Orval, en 1970, a été à l’origine de la création de ce lieu propre à évoquer l’histoire de l’abbaye. On commença par collecter des objets archéologiques trouvés, à partir de 1965, lors des fouilles menées dans l’église et le cloître médiéval par Christian Grégoire et François Bourgeois. S’y ajoutèrent, grâce à des dons particuliers, des pièces liturgiques précieuses, témoignant du souci constant des communautés monacales de promouvoir toute forme d’art propre à exprimer l’idéal esthétique et spirituel cistercien. Cinquante ans plus tard, à l’initiative de frère Xavier Frisque, l’économe de l’abbaye, qui a suivi tout le chantier, et sur le projet de Constantin Chariot, historien de l’art, assisté d’André Monhonval, membre fondateur d’Aurea Vallis(2), et d’Éric Hance, architecte consultant de l’abbaye, l’organisation des collections, installées dans l’écrin exceptionnel que constituent les caves voûtées du 18e siècle, a été ingénieusement revisitée. L’ensemble, enrichi de nouvelles œuvres d’art et d’objets historiques, a été, en outre, remarquablement scénographié par l’agence SIEN sous la direction de Ghislain Belmans.
Au long de son parcours, le visiteur est invité à découvrir plusieurs espaces thématiques alliant la pédagogie, grâce aux techniques les plus récentes d’interactivité, à l’esthétique, grâce à une muséographie réussie. La présentation s’articule autour de cinq thèmes : activités économiques du monastère (fermes et forges), Orval au fil des siècles, créations issues de la rencontre de l’art et de la foi (du style roman puis gothique à l’art déco en passant par l’art baroque et romantique), figures marquantes (St Benoît, St Bernard…) spiritualité monastique, et création artistique contemporaine. La visite se poursuit par la galerie d’exposition temporaire avant de parvenir à l’oratoire du Verbe conçu par l’architecte Jean-Marie Duthilleul et la sculpteuse Geneviève Bayle, propice à une immersion totale dans une œuvre d’art empreinte de mysticisme.
Ce dernier espace offre un exemple de fusion d’art et de spiritualité rappelant que l’abbaye n’a cessé de susciter dans ce but la créativité d’artistes appartenant à divers domaines (statuaire, enluminure, peinture, ferronnerie, orfèvrerie, art du vitrail…). Dès 1926, l’architecte Henry Vaes, assisté dans la reconstruction du monastère par de nombreux artistes belges (tel Camille Colruyt dont on peut admirer plusieurs statues dans le parcours des ruines) et étrangers, a créé un style fortement inspiré de l’Art déco, le « style orvalien », devenu une référence.
Aujourd’hui, parmi les artistes contemporains dont on peut voir les réalisations, certains ont offert une œuvre qui a trouvé naturellement sa place dans ces murs. Tel L’homme du 3e jour dans lequel l’artiste peintre Caroline Chariot Dayez, fascinée par la beauté des plis, exprime par leur représentation « un langage accordé à l’invisible ». D’autres sont venus à l’abbaye pour créer une œuvre représentative de leur perception des lieux. Ainsi, le plasticien Christian Jaccard a utilisé la technique de combustion murale pour une création in situ s’inspirant du motif cistercien en demi-cintre présent dans les vitraux de l’abbatiale. Située sous la croisée du transept de l’église, l’œuvre naît sur les parois chaulées d’une des caves du 18e siècle, entraînant le regard vers le plafond où les demi-cercles résultant de l’extinction de multiples braisillements se résolvent en constellations. Nouvelle métaphore du phénix à la lumière de laquelle peut se lire l’histoire de l’abbaye ! Quels que soient les rapports qu’il entretient avec la spiritualité, le visiteur est convié, au cours de sa déambulation dans le musée, à un voyage intérieur balisé par les œuvres de ceux qui se sont un jour rendus « perméables » à cette dimension invisible de l’existence permettant de capturer, durant un instant aussi fugace que précieux, l’incomparable éclat de la Vie dans ses plus secrètes vibrations.
Danièle Henky
Maître de conférences
en Littérature contemporaine
Université de Strasbourg
(1) H. Vaes, L’Art belge, op.cit., cité in L’Artisan et les arts liturgiques, p. 122.
(2) Association pour la défense, la conservation, la promotion du Patrimoine architectural, historique, naturel du site d’Orval et de Villers-devant-Orval.