Le nouveau cadre des titres au porteur
Un titre au porteur est un titre sur lequel le nom du bénéficiaire n’est pas inscrit. Ces titres offrent l’avantage, à l’inverse des titres nominatifs, de préserver l’anonymat de leur détenteur. Cependant, pour des raisons évidentes de transparence, cet anonymat constitue également leur principal défaut et a mené à leur inexorable disparition du paysage juridique européen.
Le Luxembourg, l’un des derniers bastions de ces titres, ne fait désormais plus exception à la règle puisqu’il a adopté, le 28 juillet 2014, une loi (la loi) modifiant principalement la loi sur les sociétés commerciales du 10 août 1915 (LSC) afin d’organiser la refonte du régime desdits titres. L’esprit de la loi est de rendre plus transparente la pratique des titres au porteurs en rendant obligatoire leur immobilisation auprès d’un dépositaire autorisé établi au Luxembourg. Les titres ne sont donc plus réellement « au porteur ». La confidentialité n’est, elle, que partiellement maintenue, l’identité du porteur est en effet désormais connue d’un dépositaire cependant tenu au secret. Enfin et surtout, l’ancienne méthode de cession de ces titres consistant en la simple tradition matérielle des titres est supprimée, remplacée par une inscription du transfert auprès du dépositaire. Une brève analyse de ce nouveau régime tend à démontrer que cette loi organise, juridiquement, leur disparition implicite puisqu’ils ne conservent plus aucune de leurs spécificités majeures comparativement à des titres nominatifs classiques. Dans les faits, ceci consacre simplement la pratique qui déconseillait déjà, dans la grande majorité des cas, l’utilisation des titres au porteur.
Le champ d’application de la loi
La « loi du 28 juillet 2014 relative à l’immobilisation des actions et parts au porteur et à la tenue du registre des actions nominatives et du registre des actions au porteur […] » prévoit ainsi l’immobilisation des « actions » et des « parts ». Le terme « actions » concerne les titres de société anonyme et de société européenne ainsi que ceux de société en commandite par action à l’exclusion des sociétés coopératives. Le terme « parts » quant à lui, renvoie essentiellement aux parts émises par les véhicules d’investissement constitués sous forme sociétaire (SICAV, SICAF, SICAR et SIF sous forme de société anonyme ou société en commandite par action) ou encore aux fonds communs de placement. L’incertitude demeure néanmoins quant aux parts bénéficiaires non représentatives du capital social même si la balance pencherait plutôt en faveur d’une exclusion de ces titres du champ d’application de la loi. Il est à noter que le fait que les titres soient admis ou non à la négociation sur un marché réglementé n’influe en rien sur l’application de la loi. Enfin, il est important de relever que les obligations au porteur ne sont pas concernées par le champ d’application de la loi. Le régime antérieur des titres au porteur demeure applicable aux obligations au porteur, en conséquence il n’est pas nécessaire de les immobiliser auprès d’un dépositaire agréé et leur tradition s’opère toujours par simple tradition réelle, c’est-à-dire, par simple transfert matériel.
Une brève analyse de ce nouveau régime tend à démontrer que cette loi organise, juridiquement, leur disparition implicite puisqu’ils ne conservent plus aucune de leurs spécificités majeures comparativement à des titres nominatifs classiques
Les dépositaires autorisés
L’immobilisation des titres se réalise par le dépôt de ceux-ci auprès d’un dépositaire autorisé par la loi. L’article 42 (3) LSC prévoit une liste limitative de ces dépositaires, constituée des entités et personnes soumises aux règles antiblanchiment et contre le financement du terrorisme, à savoir: les établissements de crédit, les gérants de fortune, certains PSF spécialisés tels que les agents teneurs de registre ou les domiciliataires de sociétés, les avocats, les notaires, les réviseurs d’entreprises agréés ou non et enfin les experts comptables. Le dépositaire est nommé par le conseil d’administration ou le directoire selon le cas. Afin d’éviter les conflits d’intérêts, la LSC prévoit que les dépositaires ne peuvent être nommés s’ils sont eux-mêmes actionnaires de la société. Dans le cadre des sociétés anonymes et sociétés en commandite par action, en cas de nomination ou de révocation du dépositaire, la société a l’obligation de déposer au RCS aux fins de publication au Mémorial C un extrait des actes relatifs à ces événements
Dans les 6 mois de l’entrée en vigueur de la loi, un dépositaire devra avoir été désigné par la société. A l’issue de ce même délai, le droit de vote et les distributions des titres non encore immobilisés seront automatiquement suspendus. Si aucune immobilisation n’intervient dans les 18 mois de l’entrée en vigueur, ils seront purement et simplement annulés, et la société devra procéder à une réduction de capital en conséquence
Procédure d’inscription et conditions relatives au registre
Le nouvel article 171-2 (1) LSC met à la charge des administrateurs/gérants des sociétés émettrices la responsabilité du dépôt des titres au porteur. L’idéal étant, pour les titres émis postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi (le 17 août 2014), d’effectuer leur dépôt concomitamment à la nomination du dépositaire. Pour les titres émis antérieurement, la loi prévoit, dans ses dispositions transitoires, l’obligation pour les administrateurs des sociétés concernées de procéder à une recherche des porteurs par voie d’annonces légales. Dans les 6 mois de l’entrée en vigueur de la loi, un dépositaire devra avoir été désigné par la société. A l’issue de ce même délai, le droit de vote et les distributions des titres non encore immobilisés seront automatiquement suspendus. Si aucune immobilisation n’intervient dans les 18 mois de l’entrée en vigueur, ils seront purement et simplement annulés, et la société devra procéder à une éduction de capital en conséquence.
Une fois le dépôt effectué, le propriétaire des titres se voit accorder la possibilité de demander au dépositaire la délivrance d’un certificat d’inscription au registre constatant les inscriptions le concernant, de façon similaire aux titres nominatifs dont un tel certificat est automatiquement délivré par la société émettrice. Ce certificat ne constitue pas un titre de propriété en ce qu’il ne fait que constater le dépôt, cette dernière étant démontrée, comme pour les titres nominatifs, par l’inscription portée au registre idoine.
Il dispose également d’un droit d’accès au registre, mais seulement pour les informations le concernant afin de conserver, au mieux, ce qu’il reste de l’anonymat. Aucune autre personne ne peut accéder à ces informations ; ni les commissaires aux comptes de la société, pas plus que les administrateurs ou les liquidateurs.
Par ailleurs, le dépositaire ne peut se déposséder des titres que dans 4 hypothèses prévues par la loi, à savoir en cas de cessation de ses fonctions, où il doit les transmettre à son successeur juridique; en cas de conversion des actions au porteur en titre nominatif; en cas de rachat par la société émettrice de ses propres titres; et en cas d’amortissement du capital suivant l’article 69-1 LSC où il doit, dans ces 3 dernières hypothèses, les remettre à la société émettrice.
Le registre doit obligatoirement être localisé au Luxembourg et doit contenir la désignation précise de chaque actionnaire avec indication du nombre des actions ou coupures, la date du dépôt et les transferts avec leur date ou conversion des actions en titres nominatifs.
Ce sont donc peu ou prou les mêmes inscriptions que celles imposées pour le registre des titres nominatifs, à la différence près que sur ces derniers n’est pas exigée, par hypothèse, l’inscription de la date du dépôt mais qu’est cependant imposée l’inscription des versements effectués.
Toutes ces nouvelles obligations sont sanctionnées par de nouvelles incriminations pénales visant les administrateurs des sociétés émettrices ainsi que les dépositaires qui ne respecteraient pas les nouvelles dispositions en prévoyant des amendes variant de 500 à 125.000 EUR.
Cession des titres
Il convient enfin d’envisager les nouvelles modalités de cession des titres au porteur, la solution ancienne du transfert matériel des titres n’étant pas perpétuée par la loi. Désormais, toute cession de titres au porteur n’est opposable que moyennant un constat de transfert inscrit sur le registre par le dépositaire. Il en ira de même pour la notification du transfert pour cause de mort. Ce mécanisme s’aligne donc sur celui applicable au transfert des titres nominatifs.