La possibilité de cumuler un mandat social avec un contrat de travail intéresse, de manière récurrente, bon nombre de dirigeants et de personnes soucieuses de créer leur entreprise qui souhaitent notamment bénéficier des dispositions protectrices en matière de droit du travail et de certains avantages sociaux y relatifs.

Me Catherine Graff
Me Catherine GraffAvocat à la CourManaging Associate EmploymentLinklaters LLP, Luxembourg

Le contrat de travail répond, suivant les dispositions de l’article L.121-1 du Code du travail, aux critères du contrat civil de louage de services visé par l’article 1779 du Code civil et obéit à une réglementation propre en vertu du principe juridique qui veut que les règles spéciales dérogent aux règles générales. La jurisprudence considère que le contrat de travail s'analyse comme la convention par laquelle une personne s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyen-nant une rémunération (1).

De cette définition découlent trois éléments constitutifs irréductibles, à savoir la prestation de travail, accomplie moyennant une rémunération ou un salaire, dans un lien de subordination. Ce dernier élément, qui se traduit comme un pouvoir de direction, de surveillance, de contrôle, voire de sanction de l’employeur vis-à-vis de celui qui travaille en sa qualité de subordonné, constitue le critère déterminant permettant de distinguer le travail salarié du travail indépendant.

Le mandat, quant à lui, est défini par l’article 1984 du Code civil comme un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.

La confrontation de cette définition et plus précisément de la notion de dirigeant mandataire social qui est la personne désignée par la loi ou les statuts en vue d’exercer, en dehors de toute subordination juridique, une fonction d’administration ou de direction au sein d’une société qu’elle représente, avec celle du travailleur salarié, placé dans un rapport de subordination, permet de mesurer la curiosité, voire la suspicion, suscitée par le cumul du contrat de travail et du mandat social au sein d’une même société ou d’un groupe de sociétés.

Deux rôles bien différents

Il n’existe pas a priori d’obstacle à cumuler deux activités distinctes et régies par des règles différentes (l’une étant régie par le Code du travail, l’autre par les dispositions de la loi sur les sociétés commerciales et du Code civil). Toutefois, la coexistence d’un mandat social avec un contrat de travail ne s’avère possible que si le contrat de travail est réel et sérieux, correspond à un emploi effectif dont les fonctions, opérationnelles et techniques sont distinctes des fonctions exercées dans le cadre du mandat social et permettent de placer le dirigeant dans le cadre de ses activités salariales sous un lien de subordination réel vis-à-vis de la société.

Pour qu’il y ait cumul, il faut donc qu’il y ait deux rôles bien différents, que les fonctions correspondant au contrat de travail ne se confondent pas avec celles que l’on peut normalement attendre d’un mandataire social (exemple : un directeur administratif et financier devenu Président Directeur Général). La jurisprudence est ainsi encline à valider le cumul lorsque les fonctions salariées précises, déterminées, d’ordre « technique » comprises dans leur acceptation courante se distinguent, voire s’opposent, à des fonctions de direction générale et de représentation.

Il n’est donc pas question que le contrat de travail soit une convention établie dans le seul but d’échapper aux règles de révocabilité ad nutum du mandataire social ou de bénéficier d’un régime fiscal plus favorable. L’appréciation du caractère fictif ou non relève du pouvoir souverain des juges qui ne sont ni liés par la volonté exprimée par les parties, ni par la dénomination que ces dernières ont donné à la convention ou par une quelconque délibération du Conseil d’administration ou de l’Assemblée des actionnaires mentionnant l’existence d’un contrat de travail.

La preuve du contrat de travail peut résulter d’un ensemble d’éléments qui permettent de conclure à l’existence d’un lien de subordination établi par un faisceau d’indices, autrement dit par un ensemble de présomptions précises et concordantes.

Sont notamment pris en considération le fait que le mandataire reçoive des instructions et rende des comptes à l’organe social, le fait qu’il soit intégré dans un service organisé (avec des horaires de travail, la mise à disposition du matériel par l’employeur, etc.) et le fait que les fonctions techniques fassent l’objet d’une rémunération distincte de celle du mandat social. Cela ne signifie pas que le dirigeant doive recevoir une double rémunération au titre, d’une part, de son mandat social et, d’autre part, de ses fonctions salariées. En cas de rémunération unique celle-ci doit, néanmoins, être versée en contrepartie de l’activité salariée et doit correspondre au salaire normal de l’emploi sans être excessive ou dérisoire.

Il est à noter, enfin, que la charge de la preuve du contrat de travail incombe à celui qui s’en prévaut, c’est-à-dire au mandataire. Toutefois, en présence d’un contrat de travail apparent, la charge de la preuve est inversée et il incombe à celui qui conteste le contrat de travail d’en prouver le caractère fictif.

Aux côtés des conditions communes à tous les cas de cumul, ci-dessus envisagées, figurent celles attachées à chaque type de société et notamment aux gérants de sociétés à responsabilité limitée (S.à r.l.) et aux dirigeants des sociétés anonymes (S.A.), qui consti-tuent les situations de cumul les plus courantes.

Au cas par cas

Le cumul du mandat social avec le contrat de travail est ainsi possible pour les gérants de S.à r.l. ne disposant pas de la qualité d’associé, tandis que la jurisprudence interdit tout cumul aux gérants associés majoritaires qui détiennent plus de la moitié des parts du capital social eu égard à l’absence de lien de subordination.

Dans les S.A., l’administrateur ne peut, quant à lui, cumuler un mandat social avec un contrat de travail que si, cumulativement, il n’a pas le pouvoir d’engager seul la société vis-à-vis des tiers, que le Conseil d’administration dont il est membre est composé de plusieurs personnes et que ses fonctions techniques sont exercées indépendamment du mandat social dans une situation de subordination vis-à-vis du Conseil d’administration.

Lorsque les fonctions salariées correspondent à un emploi effectif déterminé et que le contrat de travail remplit ainsi l’ensemble des conditions énoncées ci-dessus, le mandataire social peut bénéficier de l’ensemble des avantages liés à la qualité de salarié. Sans que cette liste ne soit exhaustive, le dirigeant a donc droit aux congés payés, aux avantages résultant d’une convention collective, aux indemnités légales de préavis et de départ ainsi qu’à l’ensemble des règles inhérentes à la rupture du contrat de travail (entretien préa-lable, licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse obligatoirement distincte des griefs liés à l’exercice du mandat social), au bénéfice de l’indemnité de chô-mage versée par l’Administration de l’emploi au cas où il ne retrouverait pas immédiatement un nouvel emploi, etc.

Enfin, l’ensemble des rémunérations perçues par le mandataire social qui cumule valablement un mandat social avec un contrat de travail sont soumises aux cotisations sociales applicables aux salariés.

A titre de rappel, aux termes des dispositions de l’article 1 du Code de la Sécurité sociale, sont cependant affiliés au régime des indépendants les associés de S.à r.l. qui détiennent plus de 25 %des parts sociales ainsi que les administrateurs de S.A. qui sont délégués à la gestion journalière, à condition qu’il s’agisse de personnes sur lesquelles reposent l’autorisation d’établissement.

En conséquence, chaque situation est à analyser, tant au niveau du droit du travail que du droit de la Sécurité sociale, au cas par cas, au regard des circonstances de fait et des éléments objectifs qui permettent de déterminer si le dirigeant social est placé dans un lien de subordination juridique avec la société dans laquelle il exerce son activité professionnelle.




(1) Cour d’appel 26 mars 1998