Préserver la réglementation tout en améliorant son efficacité, sa lisibilité et sa compréhension, et limiter les charges administratives pour les citoyens et les entreprises sont les grandes missions de la simplification administrative. Comment s’opère-t-elle au Luxembourg ? Entretien avec Octavie Modert, ministre à la Simplification administrative auprès du Premier ministre.

Octavie Modert
Octavie Modert,ministre à la Simplification administrative auprès du Premier ministre


Qui est en charge de la simplification administrative au Luxembourg ?

D’abord, j’aimerais souligner que les efforts en matière de simplification administrative, de transparence et de réglementation intelligente auprès de l’Etat sont l’affaire de tous. Les personnes œuvrant pour le bien public, qu’il s’agisse des milieux politiques, de la presse, d’organisations professionnelles des citoyens et des entreprises, ou des fonctionnaires et employés de l’Etat, sont appelées à coopérer. Il faudrait même aller encore plus loin et dire que le succès d’une modernisation de l’Etat et des communes dépend de l’intérêt que lui porte le grand public, car si les citoyens ou les entreprises ne nous signalent pas des incohérences ou procédures trop lourdes, nous ne saurons y remédier en temps utile !

Or, le gouvernement luxembourgeois avait décidé en 2009 que la simplification administrative des procédures de l’Etat devrait être une priorité gouvernementale. En effet, cette décision a tout de suite été soulignée par un transfert du Département de la Simplification Administrative (DSA) du ministère des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement au ministère d’Etat, sous ma tutelle en tant que ministre à la Simplification administrative auprès du Premier ministre. Ceci s’inscrivait parfaitement dans une stratégie logique d’une modernisation de l’Etat étant donné que je suis également responsable de la Fonction publique et de la Réforme administrative.

Il m’est important de soulever ici les principaux acteurs œuvrant pour la promotion de la simplification administrative des procédures de l’Etat. Alors que les missions accomplies par le DSA du ministère d’Etat sont proches de celles remplies par le département de la Réforme administrative du ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative, du Centre des technologies de l’information de l’Etat (CTIE), ainsi que de la médiateure, celles-ci ne sont pas à confondre avec les compétences de ces autorités.

Les missions de ces autorités se distinguent comme suit :
  • le DSA au ministère d’Etat joue un rôle de facilitateur entre ministères et administrations publiques afin de garantir de meilleures coopérations et coordinations des procédures et formalités de l’Etat. Le DSA est le point de contact pour toute réclamation en matière de charges administratives récurrentes et générales auprès de l’Etat ;
  • le département de la Réforme administrative encadre les administrations dans la gestion organisationnelle de leurs services (organisation de guichets physiques, qualité publique et usagers, gestion des ressources humaines) ;
  • le CTIE est responsable de la modernisation des outils informatiques de l’Etat (e-Government, www.guichet.lu, helpdesk central, gestion électronique de documents, etc.) ;
  • la médiateure soutient les citoyens à résoudre leurs problèmes concrets avec les administrations et départements de l’Etat (par exemple en cas d’absence de réaction d’une administration sur une demande).
Alors que les trois premiers font partie du pouvoir exécutif de l’Etat, la médiateure est, quant à elle, une instance indépendante, rattachée à la Chambre des députés.

Le DSA :
  • est le point de contact pour toute réclamation en relation avec une charge administrative auprès de l’Etat ;
  • analyse les formalités et les procédures administratives de l’Etat et des communes en vue de simplifier et de réduire les charges administratives ;
  • recommande et coordonne la recherche de solutions à des problèmes de charges administratives ;
  • assure le développement et le suivi d’un plan d’action de simplification administrative avec les acteurs concernés ;
  • veille à une meilleure qualité réglementaire ;
  • établit la validation et le suivi des conclusions élaborées en collaboration avec les acteurs concernés ;
  • assure la promotion et la communication de simplifications administratives achevées auprès de l’Etat.
J’aimerais néanmoins souligner que toutes les missions énumérées ci-dessus ne peuvent réussir sans la coopération et le soutien de toutes les parties concernées et je profite de l’occasion pour remercier encore une fois toutes les personnes qui s’engagent en la matière.

Pourriez-vous nous donner quelques exemples de simplifications administratives réalisées récemment en faveur des entreprises ?

Entre 2009 et 2013, mes services ont été fortement impliqués dans la réalisation de quelque 260 simplifications administratives, voire plus. Ces mesures pourraient parfois sembler anodines, comme la traduction d’un formulaire du français en anglais. Or, d’autres actions s’avéraient néanmoins très importantes, telles que les réformes en matière d’urbanisme et d’environnement.

A titre d’exemple, je vous cite la création récente de la Cellule de facilitation de projets d’urbanisme et d’environnement, auprès du DSA du ministère d’Etat, qui a pour objectif de faciliter les démarches administratives en rapport avec les procédures d’autorisation instituées au niveau de l’Etat par les principales lois et règlements en matière d’urbanisme et d’environnement.

Par ailleurs, nous sommes en train d’élaborer, en collaboration avec l’OAI, un questionnaire électronique interactif permettant de servir aux porteurs de projets d’urbanisme et d’environnement de feuille de route individuelle dans l’établissement de leur dossier. Ce questionnaire sera à disposition du public sur le portail Guichet.lu/Entreprises fin 2013.

En vue de réaliser les objectifs de simplification administrative prévus au programme gouvernemental de 2009-2014 en matière d’urbanisme et d'environnement, et plus particulièrement la mise en place d’un one-stop-shop, j’insiste à ce qu’un processus de travail intégrateur soit mis en place, permettant à moyen terme d’introduire sa demande électroniquement via le Guichet.lu et qui sera alors directement transmise à toutes les administrations publiques concernées.

Par ailleurs, une série de réformes législatives ont été mises en œuvre ces dernières années et, pour quelques-unes, les répercussions sur le terrain seront seulement à observer dans un futur proche :
  • loi d’établissement du 2 septembre 2011 introduisant notamment le silence vaut accord après 3 mois de silence de l’administration ;
  • loi du 28 juillet 2011 portant modification de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain ainsi que des règlements grand-ducaux du 28 juillet 2011 y afférents ;
  • loi du 13 septembre 2011 modifiant la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés et règlements afférents ;
  • projet de loi n° 6124 modifiant la loi du 21 mai 1999 concernant l'aménagement du territoire et les 4 plans sectoriels ;
  • projet de loi n° 6477 déposé à la Chambre des députés en date du 14 septembre 2012 et remplaçant la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature ;
  • loi modifiée du 22 mai 2008 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement et la publication en avril 2010 du Leitfaden zur strategischen Umweltprüfung für die Ausarbeitung des Plan d’Aménagement Général ;
  • loi du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets ;
  • loi du 19 décembre 2008 relative à l’eau.
L’Administration de la Gestion de l’Eau (AGE) a développé, avec un consultant externe, au cours de l’année 2011, un programme de gestion des demandes d’autorisations (LOGA) afin d’assurer une meilleure traçabilité des demandes lui parvenant. Ce programme permettrait un suivi plus rigoureux de ces dernières tout en respectant les différents délais impartis afin de fournir une réponse circonstanciée. Ce logiciel permet dorénavant une gestion intégrée plus harmonieuse de tous les dossiers afférents.

Le gouvernement s'était fixé comme objectif en 2007 de réduire les charges administratives de 15 % dans quatre domaines prioritaires jusqu'en 2012. L’objectif a-t-il pu être atteint ?

En effet, après avoir approuvé le programme d’action de la Commission européenne en 2007 qui visait à réduire les charges administratives pesant sur les entreprises de 25 % jusque 2012, le Conseil européen avait invité les Etats membres à fixer également des objectifs nationaux comparables. En 2009, la Commission européenne avait accordé au Luxembourg et à Malte des conditions spéciales en considération de leur taille restreinte. Le Luxembourg s’était engagé par la suite à réduire ses charges administratives de 15 % entre 2007 et 2012 dans quatre domaines prioritaires.

Etant donné que les coûts de mise en œuvre d’un mesurage complet du stock législatif total afin d’y détecter l’ensemble des charges administratives existantes s’avèrent très importants, surtout pour des petits Etats membres, le Luxembourg s’était vu accorder la possibilité de limiter le champ d’application à quatre domaines prioritaires : la sécurité sociale, l’aménagement communal, l’environnement et la TVA.

Afin de pouvoir identifier les charges les plus contraignantes et de les réduire par la suite, il a tout d’abord fallu connaître le niveau existant des charges administratives. Au cours des dernières années, une méthode de mesurage s’est imposée : le Modèle des Coûts Standard (MCS) ou Standard Cost Model (SCM). Ce modèle, développé aux Pays-Bas, a été reconnu comme modèle de référence par la Commission européenne et aussi par le gouvernement luxembourgeois.

Cette méthodologie avance en 3 étapes :

a) décomposer la réglementation en éléments mesurables ;

b) mesurer les charges administratives ;

c) simplifier la réglementation.

Sécurité sociale

Une première application du MCS avait été entamée en avril 2009 sur la loi du 13 mai 2008 portant introduction d’un statut unique pour les salariés du secteur privé, en collaboration avec le CCSS et Deloitte.

Cette étude visait à identifier et quantifier les coûts administratifs qui pèsent sur les entreprises et l’évolution de ces coûts suite à l’adoption du statut unique. Sur base d’interviews menées avec un échantillon d’entreprises représentatives, l’étude MCS avait démontré une diminution de la charge administrative annuelle pour l’économie luxembourgeoise suite à l’introduction du statut unique de 5 %. Cependant, elle avait également permis de développer 7 recommandations permettant d’arriver à une réduction des charges administratives de 15 % en 2012.

TVA

En collaboration avec le ministère des Finances et l'Administration de l'Enregistrement et des Domaines (AED), j’avais mandaté la société PwC Luxembourg pour mener une étude concernant les charges administratives liées aux principales procédures en matière de Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) (1). L’étude avait pour but d'obtenir un aperçu de leur poids pour les différents secteurs de l'économie luxembourgeoise et d'identifier des pistes de simplification administrative.

Le périmètre de l’étude était déterminé par les déclarations TVA, l’état récapitulatif, la demande de remboursement de TVA étrangère et le dépôt des déclarations et états récapitulatifs, tout en tenant compte des dispositions du Paquet TVA. Celui-ci regroupe trois directives européennes(2) qui redéfinissent la localisation des prestations de services pour les besoins de la TVA, les modalités de remboursement de la TVA étrangère ainsi que la coopération administrative et l'échange d'informations entre les Etats membres afin de mieux lutter contre la fraude à la TVA.

Il résulte de cette étude que, malgré les efforts eTVA de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines, les charges administratives en coût annuel moyen par assujetti par déclaration ont augmenté de 6,8 % entre 2007 et fin 2011 (3).

Or, l’étude a clairement démontré que cette augmentation résulte essentiellement de la transposition du Paquet TVA. Par contre, ces nouvelles charges n’ont pu être que partiellement compensées par les mesures de simplification prises au niveau national. L’étude menée par PwC Luxembourg a cependant permis d’identifier de nombreuses pistes de simplifications administratives permettant de réduire davantage les charges administratives pour les entreprises au futur.

Aménagement communal et environnement

En vue de mesurer les charges administratives les plus importantes pour les porteurs de projets

en rapport avec l’aménagement communal et l’environnement, une étude de marché a été faite en 2012 parmi un échantillon de porteurs de projets auprès des communes, des entrepreneurs et des bureaux d’études en matière de :
  • loi du 28 juillet 2011 portant modification de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain ; et
  • loi du 13 septembre 2011 modifiant la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés.
Outre l’objectif principal de pouvoir mesurer ces charges, il s’agissait d’en déduire par ailleurs des améliorations supplémentaires à réaliser pour atteindre les objectifs du programme gouvernemental de 2009.

Vu les liens étroits entre l’aménagement communal et l’environnement, les études sur ces deux sujets avaient été combinées et menées ensemble par un même consultant, en l’occurrence la société Ernst & Young. L’étude s’est principalement focalisée sur l’évolution en pourcentage de la répartition des différentes tâches liées aux procédures en matière d’aménagement communal et d’environnement en fonction du temps nécessaire à leur accomplissement.

L’étude avait révélé que les quatre tâches qui prennent le plus de temps (66 %) aux porteurs de projets sont :
  • l’organisation de réunions internes ou externes (40 %) ;
  • l’extraction d’informations demandées des données existantes (10 %) ;
  • le temps passé pour inspecter et contrôler (8 %) ;
  • le temps passé à se familiariser avec l’obligation d’information (8 %).
L’organisation de réunion représenterait l’activité la plus consommatrice de temps puisqu’il s’agirait de s’assurer de la viabilité du projet, de discuter des problèmes administratifs, de la façon d’adresser ceux-ci ou encore de trouver un consensus entre les avis parfois divergents des administrations concernées.

L’extraction d’informations demanderait un nombre d’heures substantiel étant donné la multiplicité des dossiers à remplir et la quantité d’informations obligatoires à fournir.

Concernant le temps passé pour inspecter et contrôler, il s’évaluerait conséquent puisque les administrations concernées feraient des contrôles sur place, pas forcément de façon simultanée, pour vérifier respectivement la disposition prévisionnelle du bassin de rétention et la présence de biotopes, par exemple.

Les trois études avaient fait ressortir une série de recommandations et de commentaires très spécifiques permettant d’améliorer les procédures administratives et/ ou la coopération interadministrative et prenant également en compte les attentes et suggestions d’amélioration de la part des acteurs interviewés. Ces recommandations et commentaires ont été transmis par mes soins aux ministères concernés.

En conclusion…

J’ai pu conclure que le Modèle des Coûts Standard, l’outil de mesure des coûts administratifs préconisé par la Commission européenne, est difficilement applicable à tous les domaines, surtout en ce qui concerne des procédures complexes. La mise en œuvre de ce modèle prend beaucoup de temps et est très coûteuse. Or, la Commission européenne a exprimé à plusieurs reprises sa volonté de vouloir renforcer ses méthodes de calcul des coûts administratifs à supporter par les usagers, notamment dans les documents suivants :
  • communication Pour une réglementation de l’UE bien affûtée (décembre 2012) (4)
  • communication Réglementation intelligente - Répondre aux besoins des petites et moyennes entreprises (mars 2013)(5), y compris les résultats de l’exercice Top 10, à travers lequel la Commission européenne a sondé les entreprises et parties prenantes (stakeholders) européens sur la question Quelles sont les most burdensome des législations UE ?
Etant donné que la Commission européenne insiste à ce que tous les Etats membres se dotent d’une méthode de calcul des coûts administratifs, je propose d’élaborer, en tant qu’alternative au MCS, une méthode de sondages sur des indicateurs de la bureaucratie. Cette méthode serait dynamique et facile à utiliser par tous les ministères et administrations publiques en vue de déterminer les charges administratives les plus lourdes pour les usagers parmi les procédures à remplir dans un certain domaine et de discerner ainsi des freins au dynamisme, à l’innovation ainsi qu’à la performance économique du Luxembourg.

Il ne s’agirait pas d’une méthode quantitative mais plutôt d’une méthode qualitative, axée sur des thèmes spécifiques tels que, par exemple, les critères du mieux légiférer, la publication de guides pratiques, la coordination et la coopération interadministrative, etc.

L’objectif est de créer un modèle standard pragmatique et applicable à toutes les procédures administratives de l’Etat pour en mesurer la performance. Ceci permettrait d’identifier d’éventuelles lacunes et des améliorations à prévoir.

Par ailleurs, en appliquant les indicateurs déjà en phase de préconsultation lors de l’élaboration d’une nouvelle réglementation, ceux-ci pourraient aider le législateur à anticiper d’éventuels problèmes pratiques en amont de la mise en œuvre pratique sur le terrain de la future législation.

La simplicité et la rapidité avec laquelle ces indicateurs standardisés pourraient être utilisés et évalués aussi bien par les citoyens et les entreprises que par les agents des administrations publiques faciliteraient le mesurage récurrent de l’innovation des procédures et formalités de l’Etat.

Une entreprise ou un citoyen est confronté(e) à des tracasseries administratives auprès de l’Etat ou des communes. A qui peut-elle (il) en faire part et comment ?

J’invite les usagers de procédures et formalités de l’Etat à envoyer leurs réclamations au département de la Simplification administrative du ministère d’Etat (www. simplification.lu, onglet A votre écoute), en cas de confrontation à des procédures administratives trop complexes, telles que :
  • des formulaires trop compliqués et illisibles ;
  • des heures d’ouverture non adaptées à la vie moderne ;
  • un manque de transparence et de coordination des procédures de l’Etat ;
  • une organisation et/ou un fonctionnement vétuste des démarches, etc.



(1) Loi modifiée du 12 février 1979 concernant la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA).

(2) Directive 2008/8/CE du Conseil du 12 février 2008 modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne le lieu des prestations de services ; directive 2008/9/CE du Conseil du 12 février 2008 définissant les modalités du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu par la directive 2006/112/CE, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre ; directive 2008/117/ CE du Conseil du 16 décembre 2008 modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée afin de lutter contre la fraude fiscale liée aux opérations intracommunautaires.

(3) L’étude avait été faite au 1er semestre 2012.

(4) COM(2012) 746 final (http://ec. europa.eu/governance/better_ regulation/documents/1_FR_ ACT_part1_v3.pdf).

(5) COM(2013) 122 final (http://ec. europa.eu/governance/better_ regulation/documents/1_FR_ ACT_part1_v2.pdf).




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