La négociation de l’égalité
L’égalité entre femmes et hommes dans les conventions collectives de travail
De nombreuses études et recherches interrogent les liens entre le dialogue social et l’égalité entre femmes et hommes, et accordent un rôle-clé à la négociation collective dans la mise en oeuvre de l’égalité des genres dans les secteurs et les entreprises. Cependant, les conclusions de l’étude juridique (Ecker, 2007) et celles de l’étude sur les quatre thématiques de négociation collective obligatoires(1) (Maas et al, 2012) se rejoignent sur le fait que l’égalité femmeshommes ne fait que marginalement partie des négociations entre partenaires sociaux alors que les conventions collectives constituent un excellent vecteur pour la promouvoir dans les entreprises et les secteurs (EIRO, 2004).
« Une convention collective de travail règle les relations et conditions de travail des salariés liés par un contrat de travail à un employeur. » (Putz, 2012). L’idée d’origine d’une convention collective de travail (CCT) consistait et consiste toujours à améliorer les conditions de travail des salarié.e.s. Or, depuis la loi dite PAN(2), cette vocation initiale des CCT a été élargie à des objectifs d’emploi. En effet, la loi du 12 février 1999 devient la base formelle pour une implication des partenaires sociaux dans la mise en oeuvre des politiques de l’emploi en introduisant quatre thèmes obligatoires pour les négociations collectives : l’organisation du temps de travail, le maintien dans l’emploi, la politique de formation et l’égalité de traitement entre femmes et hommes. S’y ajoute un autre aspect, qui vient renforcer l’articulation entre les relations professionnelles et l’égalité entre femmes et hommes : est instaurée, pour les partenaires sociaux, une obligation de négocier l’emploi sous sa quadruple dimension. En effet, les CCT doivent contenir obligatoirement, « sous peine de nullité », des dispositions consignant le résultat des négociations collectives. En ce qui concerne l’égalité entre femmes et hommes, il est spécifié ce qui suit (…) « la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les établissements et/ou entreprises auxquels la convention collective est applicable ; dans ce contexte, les négociations porteront notamment sur l’établissement d’un plan d’égalité et sur les moyens de rendre l’entreprise et la formation continue qui y est offerte accessibles aux personnes désirant réintégrer le marché du travail après une interruption de carrière. »
La loi du 30 juin 2004(3) reprend les dispositions de la loi du 12 février 1999 en n’apportant, en termes de nouveauté, qu’une précision supplémentaire, à savoir que « les négociations portent notamment sur l’établissement d’un plan d’égalité en matière d’emploi et de salaires ». Ces dispositions sont, enfin, reprises par le Code du travail(4) (art. L. 162-12).
Retenons que, pour le Luxembourg, les partenaires sociaux deviennent de véritables « leviers » de la mise en oeuvre de l’égalité des genres dans les secteurs et les entreprises du fait du cadre encourageant et/ ou contraignant de l’Union européenne, du fait d’avoir été associés tout au long de la mise en oeuvre des Plans d’action nationaux, du fait de la traduction des directives dans des lois nationales, du fait de l’obligation de négocier l’emploi sous l’angle de l’égalité, et, finalement, du fait de la marge de manoeuvre importante que leur confère le système des relations professionnelles en vigueur.
Concrètement, comment les partenaires sociaux se sont-ils saisis de cette invitation à négocier la thématique de l’égalité de traitement entre femmes et hommes dans les conventions collectives de travail ?
Pour rendre compte des résultats de cette négociation collective de la manière la plus complète possible, nous les avons classés dans quatre catégories selon qu’ils traitent explicitement ou implicitement de l’égalité femmes-hommes et selon qu’ils relèvent d’une négociation obligatoire ou non :
Mesures obligatoires et explicites en termes d’égalité femmes-hommes
Cette première catégorie vise les mesures d’égalité explicites qui doivent être obligatoirement (c’est-à-dire par la loi) négociées par les partenaires sociaux ; le résultat de cette négociation doit être consigné dans les conventions collectives de travail « sous peine de nullité ».
Sont visées par ces mesures, entre autres, les plans d’égalité en matière d’emploi et de salaires. Dans les faits, faute d’une définition précise dans la loi sur le contenu d’un plan d’égalité, très peu de conventions en font mention. D’ailleurs, les CCT qui évoquent un plan d’égalité ne révèlent que rarement les détails de sa mise en oeuvre concrète dans les entreprises. La juriste, Viviane Ecker (Ecker, 2011) remarque à raison qu’ « à défaut de précision, on peut admettre que les plans visés par la loi sur les conventions collectives devraient établir des mesures à prendre par les entreprises afin d’appliquer la législation sur l’égalité, de promouvoir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en proposant certains ajustements pour tenir compte de leur diversité sur le lieu du travail » ;
Mesures obligatoires et implicites en termes d’égalité femmes-hommes
Certaines mesures doivent être négociées obligatoirement par les partenaires sociaux sans pour autant poursuivre un objectif explicite d’égalité entre les femmes et hommes.
Ainsi, depuis la loi PAN, l’obligation de négocier l’organisation du temps de travail vise à favoriser la flexibilité des salarié.e.s dans les entreprises. Plusieurs outils sont prévus à cet effet par la loi dont la définition de périodes de référence, permettant de moduler les horaires de travail. Elle est négociée par les partenaires sociaux en vue d’adapter le temps de travail aux besoins spécifiques de l’entreprise ou du secteur. Parallèlement, la loi prévoit un Plan d'Organisation du Travail (POT), couvrant la période de référence tout en permettant aux salarié.e.s d’organiser leur vie suffisamment à l'avance. Cette mesure obligatoire permet de mieux concilier le travail avec la vie privée ou familiale ; cependant l’objectif de l’égalité entre femmes et hommes n’est qu’implicitement présent.
A titre d’exemple, des CCT permettent, grâce à l’instauration d’une période de référence de six mois avec un POT, aux salarié.e.s de gérer leur emploi du temps « selon leurs désirs et contraintes personnelles, dans le respect toutefois des besoins de service et des désirs justifiés des autres salariés ». Dans d’autres secteurs ou entreprises, des dispositifs d’horaires mobiles permettent une modulation volontaire plus ou moins large des horaires suivant « les besoins individuels » ou les « souhaits individuels » des salarié.e.s (Brochard et al, 2016). On voit donc que dans les faits, ces mesures, en permettant à des femmes et des hommes de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale, contribuent à l’instauration d’un plus grand équilibre entre les genres dans les entreprises, même si cet objectif ne s’en dégage qu’implicitement ;
Mesures non obligatoires et explicites en termes d’égalité femmes-hommes
Se retrouvent dans cette catégorie des mesures négociées, qui ne relèvent pas d’une obligation de négocier, mais qui véhiculent explicitement un objectif d’égalité des genres.
A titre d’exemple, on peut citer le congé parental, principale disposition introduite par la loi dite PAN. Au Luxembourg, ce congé poursuit à la fois un objectif économique de maintien des salarié.e.s sur le marché du travail, un objectif de conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale, et un objectif d’égalité entre femmes et hommes du fait de la non-transférabilité du congé d’un parent à l’autre. Le congé parental, ainsi que le congé pour raisons familiales, figurent parmi les mesures d’égalité des genres qui sont le plus souvent citées dans les CCT ;
Mesures non obligatoires et implicites en termes d’égalité femmes-hommes
Les mesures de cette catégorie ne résultent pas, tout comme celles de la catégorie précédente, d’une obligation pour les partenaires sociaux de négocier. Elles n’engagent qu’implicitement les acteurs dans une perspective d’égalité des sexes.
Le congé social est une de ces mesures qui, tout en s’inscrivant dans une perspective de conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale, n’affiche pas pour autant explicitement un objectif d’égalité entre femmes et hommes. Ce congé est présent dans un certain nombre de conventions alors qu’il ne figure pas dans la liste des congés spéciaux repris dans le Code du travail. Il remonte en effet à une revendication de la part du syndicat des fonctionnaires qui le réclamaient afin de permettre aux fonctionnaires de réagir face à des situations sociales et familiales d’urgence, par exemple en cas d’enfant malade. Cependant, loin d’être devenu obsolète avec l’introduction du congé pour raisons familiales en 1999, le congé social reste présent dans les conventions collectives de travail bien au-delà de ladite loi PAN, car les partenaires sociaux continuent à l’instrumentaliser dans les conventions collectives pour libérer ponctuellement les salarié.e.s des obligations professionnelles afin d’effectuer des démarches personnelles urgentes, que ce soit pour des événements directement en relation avec la personne du ou de la salarié.e ou pour des événements qui sont en relation avec les personnes composant le ménage de ce dernier ou cette dernière.
L’analyse des conventions collectives de travail, dont nous venons d’évoquer quelques mesures négociées, nous amène à des conclusions très contrastées. Malgré le cadre institutionnel encourageant, voire contraignant, les résultats de la négociation collective portant sur l’égalité entre les femmes et les hommes révèlent que le potentiel de négociation de l’égalité de traitement entre femmes et hommes reste sous-exploité au Luxembourg.
(1) Les quatre thématiques sont l’organisation du temps de travail, la lutte contre le chômage, la politique de formation et l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes.
(2) Loi du 12 février 1999 concernant la mise en oeuvre du plan d'action national en faveur de l'emploi 1998, Mémorial 1999 A n° 13, p. 190.
(3) Loi du 30 juin 2004 concernant les relations collectives de travail, Mémorial 2004 A n° 119, p. 1782.
(4) Loi du 31 juillet 2006 portant introduction d’un Code du travail, Mémorial 2006 A n° 149, p. 2456.
Sources citées :
Brochard D., Blond-Hanten C., Robert F., Les effets de l’invitation européenne à agir sur la conciliation emploi-famille : une analyse comparée de la négociation collective en France et au Luxembourg, La Revue de l'IRES, Volume 2015, n° 85-86, paru en 2016, p. 99-143.
Ecker V., L’égalité entre femmes et hommes dans les conventions collectives de travail, Rapport pour le ministère à l’Egalité des chances, 2007, Luxembourg.
European Industrial Relations Observatory (EIRO), Etude comparative de l’Observatoire européen des relations industrielles, Egalité des chances, négociation collective et stratégie européenne pour l’emploi, 2004.
Maas R., Blond-Hanten C., Etienne-Robert F., Le temps de travail, l’emploi, la formation et l’égalité des genres dans les conventions collectives de travail en 2005 et 2006, CEPS/INSTEAD, coll. Rapports, 2012, 166 p.
Putz J-L., Le droit du travail collectif, Tome 1 : Relations professionnelles, Promoculture-Larcier, 2012, 490 pages.