La Grande Région constitue une partie intéressante de l’Europe, que dis-je, un sacré morceau européen. Mais ceci ne veut pas dire que tous ses habitants s’intéressent à l’Europe de la même façon. Et encore moins que tout ce petit monde cultive toujours et sur tous les sujets une attitude pro-européenne. Force est de constater que les régions  frontalières ont un rôle spécifique à jouer sur la carte européenne. Ce rôle n’est pas simplement symbolique. C’est en effet proche des frontières que nous pouvons voir et vérifier si l’Europe « fonctionne » bien ou non. C’est encore ici que les contacts internationaux (sociaux, politiques, économiques, etc.) sont tantôt plus faciles qu’ailleurs, tantôt pas évidents du tout.


La présente contribution s’intéresse aux résultats de l’eurobaromètre du Parlement européen intitulé A un an des élections européennes de 2014. Presque 28.000 Européens âgées de 15 ans et plus ont été interrogés en juin 2013, soit grosso modo 12 mois avant le prochain vote européen de mai 2014. L’enquête a été publiée fin août 2013 et peut être consultée sur www.europarl.europa.eu/aboutparliament/fr.

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Dans ce qui suit, nous allons nous pencher sur quelques résultats de cette analyse, obtenus au Luxembourg, en Allemagne, en Belgique et en France, autrement dit dans les quatre pays directement concernés par la Grande Région. « Faute de mieux » car, malheureusement, ce type de sondages n’est pas réalisé à l’échelle interrégionale et transfrontalière. Quelle belle idée, en effet, de réaliser une telle enquête dans une optique transfrontalière. Non seulement pourrait-on comparer alors des points de vue nationaux (ce que nous allons essayer de faire), mais on pourrait aussi étudier dans quelle mesure les réponses d’un frontalier lorrain travaillant au Luxembourg, soumis à des passages répétés d’une frontière nationale et séjournant de façon prolongée dans un autre Etat membre, peuvent différer de celles d’un Lorrain vivant et travaillant sur place.

Vive la paix !

A la question Parmi les suivants – la libre circulation des personnes, des biens et des services ; la paix entre les Etats membres ; l’euro – quel est, selon vous, le résultat de l’Union européenne le plus positif  ? C’est l’argument de la paix qui est le plus souvent cité (score UE-27 : 53 %), particulièrement en Allemagne, suivi du principe de la libre circulation (plus fréquemment cité par les Allemands et les Luxembourgeois que par les Belges et les Français) et, à quelques points d’écart, de l’euro (Graphique 1). Notons que l’euro semble avoir une importance plus grande (et grandissante : + 6 points depuis le dernier sondage !) en Belgique que dans les autres pays, le score français étant un peu décevant, avec seulement 27 %.

A la question Que représente l’Union européenne pour vous personnellement ?, la plupart des Européens – et des habitants de nos quatre pays – ont répondu avec des éléments du type : la liberté de voyager, l’euro et la paix. Ce qui ne veut pas dire que les réactions ont toutes été positives : la réponse Elle représente pour moi (plutôt) un gaspillage d’argent est, par exemple, donnée par 46 % (!) des Allemands, par 34 % des Français, par 30 %  des Luxembourgeois et par 26 % des Belges interviewés.

Autoperception

Dans la plupart des sondages ayant trait à l’Europe, les enquêteurs souhaitent savoir comment les gens se voient eux-mêmes, c’est-à-dire si un Français habitant la Bretagne (pour ne pas le nommer) est d’abord Breton avant d’être français ou/et européen.

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En moyenne, une personne sur deux déclare être Luxembourgeois, Allemand, Belge ou Français et en même temps Européen, ce qui est tout de même un peu rassurant.

Le graphique 2 révèle quelques nuances intéressantes. Le pays (parmi les quatre au choix) dans lequel la proportion de gens se sentant exclusivement comme des ressortissants nationaux est la plus importante est bien la France, suivie de la Belgique, de l’Allemagne et – déjà un peu derrière – du Luxembourg. En même temps, c’est au Luxembourg (qui, c’est le moment de le rappeler, compte tout de même 44 % d’étrangers parmi sa population résidente et 44 % de travailleurs frontaliers dans son emploi intérieur), que le poids de celles et de ceux qui se disent exclusivement Européen(ne)s est le plus élevé, même s‘il reste, somme toute assez modeste, avec 10 %.

En ce qui concerne le degré d’attachement à son pays, à sa ville (son village), sa région ou à l’Union européenne, tout court, il est intéressant de noter que la valeur « pays » pèse moins en Belgique (84 %) qu’au Luxembourg (91 %), en France (92 %) et en Allemagne (93 %). A l’inverse, c’est en Belgique que le sentiment d’attachement à la région est plus développé qu’en France. Et c’est au Luxembourg (74 %) que l’Union européenne fait son meilleur résultat, loin devant ce qui se passe en France (53 %).

Mais que se passe-t-il en France ?

Le graphique 3 ne fait que confirmer ce qui précède, dans ce sens que c’est en France que l’on trouve le moins d’eurofanatiques  et le plus d’eurosceptiques (c’est le cas de le dire !).

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Voici les scores obtenus pour nos quatre pays en tenant compte de la fourchette entre les réponses Etre pays membre de l’Union européenne est pour nous une bonne chose et Etre pays membre de l’Union européenne est pour nous une mauvaise chose :

1. Allemagne : 68 % - 7 % = 61 points

2. Luxembourg : 71 % - 12 % = 59 points

3. Belgique : 64 % - 12 % = 52 points

4. France : 50 % - 16 % = 34 points.

Si le Luxembourg, cet « élève-modèle de l’Union européenne », n’occupe que la 2e place dans ce classement, ce n’est pas uniquement à cause des 12 % de « mauvais » répondants. A l’occasion de l’eurobaromètre précédent, c’est-à-dire un an plus tôt, en juin 2012, 78 % des enquêtés avaient encore pensé que l’appartenance à l’Union était une bonne chose pour le pays. Sic transit gloria mundi

Confiance ou pas confiance, voilà la question !

A la question Dans l’ensemble, êtes-vous satisfaits (addition des « très satisfaits » et des « plutôt satisfaits ») du fonctionnement de la démocratie dans votre pays ?, c’est une fois de plus la France qui sort du rang (graphique 4). Seuls douze points y séparent les « satisfaits » des « pas satisfaits », alors qu’au Luxembourg, la même fourchette est de 57 points !

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« Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres »

30 % des Français (gain de 9 points sur les derniers 12 mois !) ne sont pas d’accord avec la phrase Ce qui rapproche les citoyens des différents Etats membres de l’Union européenne est plus important que ce qui les sépare. A l’échelle de l’Union à 27, le score obtenu est de 20 %. Comme au Luxembourg d’ailleurs.

Le graphique 5 montre que c’est encore une fois l’Allemagne qui présente le bilan le plus flatteur (71 points d’écart entre les « d’accord » et les « pas d’accord »), devant la Belgique (65 points) et le Luxembourg (55 points).

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Quelle conclusion tirer de ce rapide survol ?

Nous sommes tous Européens – enfin, certains un peu plus, d’autres un peu moins – jusqu’au moment où il est question d’intérêts vitaux. C’est alors, et bien vite, que la plupart des peuples européens redeviennent vulgairement nationaux, vous ne trouvez pas ?

Claude Gengler
Claude.gengler@forum-europa.lu

 

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