Transition écologique : tout le monde peut-il y participer ?
Au fil des discours politiques relayés par la presse et les journaux télévisés, on serait tenté de penser que la transition écologique n’est qu’une question technologique. Or, ce qu’ont révélé diverses manifestations, notamment en France avec les Gilets jaunes, mais aussi en Pologne avec les mineurs, est que la transition écologique soulève également un problème social.
Si l'on veut atteindre les objectifs environnementaux fixés par les instances européennes, il convient de lutter contre les inégalités afin de promouvoir une justice sociale. Y parviendra-t-on ? Là est la question. Encadrer l’usage de la voiture et de l’avion, promouvoir la voiture verte, l’agriculture biologique, inciter les uns et les autres à changer ses habitudes alimentaires et à réguler sa consommation énergétique est souhaitable. Pour autant, ces mesures sont-elles recevables par tout un chacun ?
Organiser une transition juste qui protège les plus vulnérables
Tout d’abord, ne faudrait-il pas commencer par consulter en amont la société civile, les associations d’usagers et/ou d’experts, les collectifs de simples citoyens afin de définir les justes besoins des uns et des autres, et de les satisfaire ? Ainsi, les besoins de mobilité des travailleurs n’ont-ils pas fait l’objet d’un débat démocratique qui aurait permis d’effectuer un état des lieux « mobilité » au plus près de ce que les travailleurs attendent. Les citoyens ne sont pas fondamentalement opposés à une mobilité décarbonée sans voiture (Green Deal énergétique européen). Encore faut-il que les pouvoirs publics compensent en mettant à leur disposition des transports publics/privés efficaces et « subventionnés ». Rappelons que les campagnes et les villages ont été délaissés ces dernières décennies par les transports collectifs jugés trop coûteux par les opérateurs économiques publics/privés. La taxe carbone a par conséquent été vécue comme une provocation.
Si l'on veut atteindre les objectifs environnementaux fixés par les instances européennes, il convient de lutter contre les inégalités afin de promouvoir une justice sociale. Y parviendra-t-on ? Là est la question.
La révolte des Gilets jaunes en France (au Luxembourg et en Allemagne), a ainsi commencé par la contestation d’une mesure de fiscalité écologique jugée injuste : la taxe carbone sur les consommations d’énergie fossile applicable à tous, sans distinguo. Or, en raison du coût du logement, la plupart des protestataires habitent loin de leur lieu de travail, situé le plus souvent dans les grandes agglomérations. Se déplacer en voiture n’est pas un choix (économique) pour eux mais une nécessité. Ils se sont sentis piégés. Dans le domaine de l’emploi, la disparition annoncée de milliers de postes, notamment dans l’industrie automobile (voitures électriques versus véhicules thermiques/délocalisations), laisse peu à peu des hommes et des femmes sans emploi, des territoires sans ressources dans la plupart des pays européens. Des aides financières publiques/privées à la reconversion d’emplois et à la formation (courte et/ou longue) sont à envisager de concert avec les entreprises, les élus locaux, les institutions publiques et privées. À défaut, le Green Deal énergétique soulèvera grèves et révoltes parce que cela n’est pas acceptable économiquement pour bon nombre de citoyens.
Autres perdants de la transition écologique, les locataires et les précaires qui occupent des passoires énergétiques dont les caractéristiques sont les suivantes : isolation insuffisante, humidité et moisissures, chaufferie inadaptée et factures de gaz/électricité démesurées, souvent difficiles à payer. Aussi étonnant que cela puisse paraître, un logement abordable et de bonne qualité (énergétique) repose encore trop souvent sur la seule volonté du propriétaire. Tous les pays européens sont concernés par cet état de fait. Dès lors, l’amélioration de l’efficacité énergétique relève de mesures publiques de soutien appelant une mobilisation massive de fonds dans le cadre d’un pacte social. Malheureusement, celles-ci tardent à venir. Pourtant, la mise en œuvre d’une fiscalité et d’une réglementation dans le secteur du bâtiment aideraient une population aux revenus modestes à mieux vivre, avec notamment la baisse de leur facture énergétique ; ils sont entre 50 à 125 millions d’Européens concernés. Qui ne voient pas forcément d’un bon œil une transition verte à deux vitesses. Quant aux chèques distribués par certains pays pour les aider (énergie/panier), ils font figurent de « rustines ».
Dans certains secteurs industriels, actuellement très polluants comme l’énergie fossile, l’agriculture et les transports, avec les changements profonds qui s’annoncent, ce sont des milliers de salariés qui vont être touchés. Les États européens se doivent d’accompagner cette situation par la mise en œuvre de dispositifs de reconversion et de formation des employés en lien avec les acteurs économiques (dont les entreprises) et les territoires concernés. Le montant des aides financières actuelles est largement en deça de ce qui devrait être injecté. Sans ce soutien financier, parler d’économie décarbonée aux mineurs polonais, futurs chômeurs, pour leur expliquer que leur entreprise est dramatiquement polluante est socialement irresponsable. Que dire des positions hostiles de certaines grandes entreprises polluantes telles que Total qui, avec un cynisme inégalé (celles-là mêmes qui poussent à la dérégulation du marché, rognant sans vergogne les droits des travailleurs), présentent aux États l’argument de la prétendue perte d’emplois afin de freiner la mise en route de mesures vertes vues comme économiquement impactantes pour leurs activités ? Garder la main sur la manne que représentent les énergies fossiles est la véritable motivation. Ce faisant, financer la recherche dans le domaine de la biologie marine (Total encore) n’exonère nullement l’entreprise. Au regard des enjeux actuels, cette action n’est qu’une diversion. Est-il citoyen de laisser les États financer seuls la transition ?
La transition (alimentaire) ne se fera pas sans changements tant dans les systèmes de production que dans les habitudes alimentaires. Sera-t-il tenu compte des besoins et des revenus des populations les plus modestes ? Des enquêtes européennes ont évalué à 33 millions le nombre de citoyens européens qui, aujourd’hui, n’ont pas les moyens de s’offrir un repas de qualité, un jour sur deux.
Enfin, il est évident que la transition (alimentaire) ne se fera pas sans changements tant dans les systèmes de production que dans les habitudes alimentaires. Sera-t-il tenu compte des besoins et des revenus des populations les plus modestes ? Des enquêtes européennes ont évalué à 33 millions le nombre de citoyens européens qui, aujourd’hui, n’ont pas les moyens de s’offrir un repas de qualité, un jour sur deux. Dans le même temps, la malbouffe se répand, entraînant chez les plus démunis une obésité galopante (plus de la moitié de la population adulte européenne serait en surpoids). Si l’on veut fournir aux Européens des produits alimentaires de qualité à des prix abordables pour tous, sans pénaliser par ailleurs les producteurs, agriculteurs et pêcheurs, les États et les acteurs privés (fonds d’investissement, banques, plateformes de crowdfunding ) doivent apporter des aides financières bien au-delà des sommes distribuées actuellement, qui semblent infimes pour une agriculture durable (biologique), une pêche « raisonnable » (cf. l’ambition de la nouvelle PAC). Seule l’élaboration d’un pacte social européen pour la transition énergétique est la solution. Comment s’y prendre pour garantir à tout un chacun les bénéfices de cette transition tout en conservant un travail ? En s’appuyant plus particulièrement sur des tiers de confiance : maires, acteurs associatifs, services publics, la participation citoyenne des individus (consommateurs) et des entreprises.
Martine Borderies
Sources : Observatoire des inégalités ( www. inegalites.fr ), IDDRI (Institut du Développe - ment Durable et des Relations Internationales, www.iddri.org ), Institut Jacques Delors ( https:// institutdelors.eu ), Greenpeace ( https://www. greenpeace.org ), youmatter ( https://youmatter. world/fr ), Un pacte vert pour l’Europe ( https:// ec.europa.eu ).