Trajets et déplacements
professionnels : quels droits et
obligations pour l’employeur ?
Après avoir mis en lumière les difficultés tant juridiques que pratiques liées au télétravail dans un contexte transfrontalier dans le précédent numéro(1), il est certainement juste de dire que de nombreux salariés utilisent quotidiennement leur véhicule et/ou les transports en commun pour se rendre sur leur lieu de travail, et, ensuite, pour rentrer chez eux. A plusieurs égards, ces trajets connaissent un encadrement juridique propre et impliquent des obligations à charge tant du salarié que de l’employeur.
Aussi, selon la nature de l’emploi exercé, des déplacements professionnels, que ce soit au Luxembourg ou à l’étranger, sont effectués chaque jour, notamment pour se rendre auprès d’un client, d’un fournisseur, d’un partenaire ou sur un autre lieu de travail. Là également, l’employeur devra veiller à respecter les règles applicables en la matière.
Les interrogations les plus récurrentes ayant trait aux trajets et déplacements professionnels concernent d’une manière générale la qualification en temps de travail, les obligations en cas d’accident ou encore celles en cas de retard du salarié.
S’agit-il de temps de travail ?
Il est certainement connu de tous qu’en principe le temps de trajet du domicile du salarié jusqu’à son lieu de travail n’est pas assimilé à du temps de travail devant être rémunéré par l’employeur. En effet, le Code du travail définit le temps de travail comme « le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de son employeur », ce qui, par définition, n’est pas le cas lorsque le salarié est sur la route ou utilise les transports en commun pour se rendre sur son lieu de travail.
Certaines « exceptions » ont toutefois été admises par la jurisprudence. Il s’agit principalement de l’hypothèse des salariés ayant un poste « nomade » qui requiert certains déplacements. Ainsi, il a été retenu que le trajet du domicile du salarié (ou de tout autre lieu que le salarié aura librement choisi) jusqu’au siège social de l’entreprise n’est pas du temps de travail, mais qu’en revanche le trajet du siège social jusqu’à un autre lieu de travail (par exemple chez un client ou d’autres locaux appartenant à l’employeur) est à qualifier comme tel. D’aucuns noterons immédiatement qu’il ne s’agit alors plus de temps de trajet à proprement parler, mais plutôt d’un déplacement professionnel.
Contrairement au temps de trajet domicile-lieu de travail, le déplacement professionnel se caractérise en effet par le fait que le salarié est d’ores et déjà à la disposition de son employeur et qu’il est alors amené, du fait de ses fonctions, à se déplacer pour le compte de son employeur. De la sorte, et conformément à la définition du Code du travail, le salarié ne peut pas vaquer librement à des occupations de nature privée, mais suit simplement les instructions de l’employeur.
Il peut donc être retenu que de tels déplacements professionnels sont à rémunérer par l’employeur et également à prendre en compte dans les limitations journalières (voire hebdomadaires) de la durée du travail. A titre de rappel – et sauf disposition contractuelle ou conventionnelle plus favorable – un salarié ne peut pas être occupé plus de 8 heures par jour et 40 heures par semaine (respectivement 10 heures par jour et 48 heures par semaine en cas d’heures supplémentaires et/ou d’une mesure de flexibilité) et doit disposer d’un repos quotidien d’au moins 11 heures consécutives (et un repos hebdomadaire consécutif de 44 heures).
En pratique, lorsque le déplacement professionnel est entièrement inclus dans une journée normale de travail (par exemple le salarié, travaillant habituellement à Luxembourg- Ville, a un rendez-vous à 14 heures auprès d’un client ayant ses bureaux à Leudelange), les règles mentionnées ci-dessus ne posent bien évidemment pas de problème. En revanche, dans certaines situations, il est tout simplement impossible de respecter à la lettre ces maxima : un salarié qui doit se rendre plusieurs jours à l’étranger pour le compte de son employeur (par exemple aux Etats-Unis) sera – en théorie – tout au long du voyage en déplacement professionnel.
Il est évident toutefois que l’employeur ne va pas rémunérer toutes les heures à compter du moment où le salarié se rend à l’aéroport jusqu’à son retour effectif. Aussi, il est alors impossible pour l’employeur de respecter les limites journalières, voire hebdomadaires, de la durée du travail.
Face à ce constat, de nombreux règlements intérieurs mis en place au sein d’entreprises concernées ont alors procédé à une distinction non prévue explicitement par la loi, mais que la jurisprudence (notamment une décision de la Cour d’appel du 17 septembre 2009) semble accepter. Il s’agit – pour ce cas particulier uniquement – de différencier « temps de travail productif » et « temps de travail non productif ». Le premier est à considérer comme du temps de travail presté au sein de l’entreprise, c’est à-dire qu’il est rémunéré normalement et est pris en compte pour l’appréciation des maxima journaliers et hebdomadaires. Le « temps de travail non productif » correspond à celui pendant lequel le salarié est certes à la disposition de son employeur, mais peut, dans une certaine mesure, vaquer à des occupations personnelles (il s’agira par exemple des heures passées dans l’avion ou encore de la nuit à l’hôtel). Ce « temps de travail non productif » n’est ni rémunéré normalement, ni pris en compte pour l’appréciation des limites susvisées. En revanche, il est de pratique courante que l’employeur « dédommage » d’une manière ou d’une autre le salarié pour ce « temps de travail non productif » en lui accordant, par exemple, une somme forfaitaire par jour ou du repos compensatoire.
Afin de prévenir toute contestation potentielle quant à cette pratique très usitée, il est alors essentiel soit de prévoir des clauses spécifiques dans le contrat de travail des salariés concernés ou encore de mettre en place un règlement intérieur dédié à ce sujet. D’une manière générale, il est toujours préférable, surtout pour les déplacements professionnels s’étalant sur plusieurs jours, de les faire faire par des cadres supérieurs, qui ne sont pas soumis aux règles restrictives en matière de durée du travail.
Que faire en cas d’accident ?
En cas de survenance d’un accident, que ce soit dans le cadre du trajet domicilelieu de travail ou lors d’un déplacement professionnel, les obligations des parties et surtout la prise en charge du salarié seront identiques. En effet, un accident survenu lors d’un trajet professionnel est assimilé à un accident du travail s’il est survenu :
- i) entre la résidence principale, secondaire stable ou tout autre lieu où le salarié se rend de façon habituelle pour des motifs d’ordre familial et le lieu de travail ;
- ii) entre le lieu de travail et le restaurant, la cantine ou d’une manière générale le lieu où le salarié prend habituellement ses repas.
Ce trajet peut ne pas être le plus direct lorsque le détour effectué est rendu nécessaire dans le cadre d’un covoiturage régulier ou pour déposer ou reprendre l’enfant qui vit avec l’assuré, auprès d’une tierce personne à laquelle il est obligé de le confier afin de pouvoir travailler. N’est toutefois pas pris en charge l’accident que l’assuré a causé ou auquel il a contribué par sa faute lourde ou si le trajet a été interrompu ou détourné pour un motif dicté par l’intérêt personnel et étranger aux nécessités essentielles de la vie courante ou indépendant de l’activité de la personne.
De même, l’accident survenu lors d’un déplacement professionnel est à qualifier d’accident du travail, alors que ce dernier est défini comme étant l’accident survenu à un salarié par le fait ou à l’occasion de son travail.
En cas de survenance d’un accident, que ce soit lors d’un trajet ou d’un déplacement professionnel, chacune des parties a une obligation d’information :
- i) en premier lieu, le salarié doit immédiatement (sauf en cas de force majeure) informer l’employeur de la survenance de l’accident ;
- ii) dès que l’employeur a reçu cette information, il sera tenu de procéder à une déclaration d’accident auprès de l’Association d’Assurance Accident (AAA) par le biais d’un formulaire dédié ;
- iii) enfin, et endéans les 3 jours ouvrés de la survenance de l’accident, le salarié sera tenu, le cas échéant, de faire parvenir à la Caisse nationale de santé le certificat attestant de son incapacité de travail.
Dans ce cas, le salarié aura en principe droit tant aux prestations en espèces que celles en nature, tout comme, si certaines conditions sont remplies et avec certaines limitations, à une indemnisation du dégât causé à son véhicule, voire à des indemnités pour préjudices extrapatrimoniaux.
Que faire en cas de retard du salarié ?
L’hypothèse du retard du salarié concerne a priori uniquement le trajet professionnel, en particulier lorsque le salarié se rend sur son lieu de travail.
Rappelons tout d’abord que le salarié a l’obligation d’arriver à l’heure sur son lieu de travail et qu’il est tenu, en cas de retard prévisible, d’en informer le plus rapidement possible son employeur afin que ce dernier puisse prendre les mesures nécessaires pour tenter d’éviter une perturbation de son entreprise ou de l’équipe dans laquelle travaille le salarié.
Dans ce cadre, la jurisprudence a décidé que les retards du salarié sont « justifiés », c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas donner lieu à sanction de la part de l’employeur, uniquement si le fait générateur du retard était imprévisible. Or, des embouteillages, des retards dans les transports en commun ou encore des conditions météorologiques difficiles ne sont en général pas des événements imprévisibles qui permettent de justifier d’un retard. Le salarié est dès lors tenu d’organiser son trajet de telle manière à arriver à l’heure, même en cas de survenance d’un tel événement
A défaut, et selon les circonstances, l’employeur aura la possibilité de prononcer des sanctions disciplinaires, pouvant même aller, notamment en cas de récidive, jusqu’au licenciement. En tout état de cause, l’employeur ne sera pas tenu de rémunérer le salarié pour le temps non travaillé en raison du retard, sauf bien évidemment à ce que le salarié « rattrape » ensuite ce temps en accord avec l’employeur.
(1) Le télétravail dans un contexte transfrontalier : quand flexibilité rime avec contrainte, entreprises magazine n° 79, septembreoctobre 2016, pp. 70 et 71.