Robotisation des emplois: une menace ou un défi?
La problématique de la robotisation est une constante de l’histoire économique. Concentrée un temps sur l’industrie, elle touche aujourd’hui quasiment tous les secteurs de l’économie. Mais jusqu’à quel point les nouvelles technologies peuvent-elles avoir une incidence sur les emplois actuels? Une étude réalisée par ING Luxembourg donne quelques pistes. Entretien avec Ananda Kautz, responsable de l’équipe Strategy & Business Intelligence chez ING Luxembourg.
Pouvez-vous nous expliquer brièvement comment a été réalisée cette étude ?
Pour ING, il est important d’accompagner au mieux nos clients pour les aider à toujours garder une longueur d’avance, tant sur le plan privé que professionnel. La révolution technologique impacte déjà nos vies et fait partie des grands changements qui nous attendent. Voilà pourquoi nous avons décidé de lancer cette année une étude sur la révolution technologique et son impact sur l’emploi au Grand-Duché. L’objectif était, au niveau macroéconomique, de comprendre les mutations de long terme de l’économie luxembourgeoise et, au niveau microéconomique, d’aider les entrepreneurs et les ménages à conserver une longueur d’avance dans leur vie et leur activité. Nous avons appliqué une méthodologie reconnue posée par l’économiste Carl Frey et l’ingénieur Michael Osborne en 2013, dans laquelle ils estiment les probabilités que différents types de métiers de l’économie américaine soient robotisés, grâce à une découpe précise des tâches propres à chaque métier et ensuite à une pondération en fonction du nombre d’emplois existants dans chaque métier.
Votre étude prend en compte les emplois des résidents et des frontaliers. Quels sont les résultats pour les résidents?
Notre envie était de comprendre dans quelle mesure chaque métier résident et frontalier est susceptible à terme d’être robotisé au Luxembourg. Pour les résidents, nous avons appliqué la méthodologie à un total de 388 métiers ISCO (International Standard Classification of Occupations) dans lesquels étaient répartis 190.709 effectifs. Il s’avère que 99.807 d’emplois sur les 190.709 considérés dans cette étude sont susceptibles d’être robotisés, soit 52 % des emplois.
Si nous nous focalisions sur les résidents, les probabilités de robotisation des différentes classes de fonctions sont très hétérogènes. Les emplois de type administratif sont les plus exposés à la robotisation avec une probabilité de 93 %. Les métiers qualifiés de l’industrie et de l’artisanat sont de lointains seconds, avec une probabilité de robotisation s’élevant à 68 %. Au contraire, les managers et les professions médicales, intellectuelles, scientifiques et artistiques comme les médecins et sages-femmes, architectes, professeurs ou encore les professionnels de la garde d’enfants sont les classes les moins susceptibles d’être robotisées (moins de 8 % de probabilité) car elles reposent particulièrement sur les relations humaines et font appel à la créativité.
Et pour les frontaliers?
Notre analyse montre que les travailleurs frontaliers ont une probabilité plus forte d’être touchés par la robotisation que les travailleurs résidents au Luxembourg. En effet, en tout 56 % des emplois frontaliers seraient concernés par la robotisation. Au total 60 % des métiers exercés par les frontaliers ont une probabilité forte de robotisation (supérieure à 70 %) contre 37 % pour les résidents. La raison principale réside dans la nature des fonctions généralement occupées par les frontaliers.
Faut-il voir l’automatisation comme une menace ou comme une opportunité?
Selon moi, la robotisation offre avant tout une multitude d’opportunités pour l’économie et l’emploi. La clé de la réussite est d’assimiler le progrès technique et de s’assurer qu’il soit source d’un plus grand bien-être. S’opposer et lutter contre les évolutions technologiques serait une grande erreur. Nous devons accompagner ces évolutions car s’y opposer revient à brider la croissance. Le progrès technique s’est toujours accompagné d’une transformation des métiers et la robotisation offre l’opportunité aux employés d’accomplir de nouvelles tâches et de s’orienter vers de nouvelles activités. Il ne faut donc pas s’alarmer face à la robotisation puisqu’elle présente une opportunité majeure pour contrer les effets du vieillissement de la population active en compensant le manque de jeunes travailleurs, pour générer des gains de productivité et développer de nouvelles expertises à exporter.
La robotisation représente cependant un défi majeur à relever en matière de formation et d’éducation. Nous devons mieux faire correspondre les formations aux métiers et aux tâches de demain et instaurer une formation permanente dans les entreprises. On sait que le profil type de l’emploi à haute probabilité de robotisation est faiblement ou moyennement qualifié et comporte de nombreuses tâches répétitives. Il s’agit donc d’être particulièrement attentif à la réorientation et à l’accompagnement des travailleurs concernés.
Je pense que le grand défi pour le Luxembourg est donc de ne pas freiner l’évolution technologique, mais de l’assimiler au contraire. Nous devons rendre notre économie suffisamment flexible pour s’assurer que le progrès soit source d’un plus grand bien-être. Plus simplement, il s’agit pour le Luxembourg de poursuivre sur la voie dans laquelle il s’est engagé. Le Luxembourg est un pays innovant, il est devenu en 2015 le 6e plus important acteur d’innovation en Europe selon l’Innovation Union Scoreboard. De plus, la R&D et l’innovation sont considérés comme pivots de la croissance et de la compétitivité de l’économie luxembourgeoise, ce qui laisse penser que le Luxembourg est bien positionné pour réussir ce virage technologique.