Quels enjeux pour favoriser
la recherche et l’innovation
au Luxembourg ?
Au-delà des aspects sociétaux qui sont en jeu dans ce domaine, favoriser l’innovation au Luxembourg est une ambition affichée (et assez largement partagée) qui poursuit deux grandes finalités économiques. Tout d’abord, elle doit aider au renforcement durable des gains de productivité du pays et à tendre vers la croissance tantôt qualifiée d’« intensive », « qualitative » ou encore « intelligente ». Ensuite, l’innovation est l’un des principaux piliers de la volonté de diversification économique visant à développer des niches de compétences à forte valeur ajoutée, que ce soit au sein du principal moteur économique du pays – la finance – ou dans d’autres secteurs stratégiques (matériaux, logistique, santé, espace, numérique). Il s’agit bien d’assurer les meilleures conditions possibles pour le développement économique à long terme.
Au début des années 2000, le Luxembourg a entamé une profonde transformation de son système d’innovation, à grand renfort d’investissements publics. En 15 ans, les crédits de l’Etat en faveur de la R&D ont été multipliés par 12 (passant de 28 à 329 millions EUR). Cet effort financier s’est traduit par la création puis le développement de l’Université, des Centres de Recherche Publics et d’agences en charge de l’accompagnement (y compris financier) de la stratégie de recherche et d’innovation, tels que le Fonds National de la Recherche ou Luxinnovation.
Faiblesse des dépenses de R&D dans le secteur privé : à rattraper ou à relativiser ?
L’indicateur sans doute le plus commenté dans le domaine de la recherche et de l’innovation, à savoir l’intensité des dépenses intérieures de R&D dans le PIB, est faible et a même tendance à baisser au Luxembourg. En 2015, les dépenses totales de R&D se sont élevées à 671 millions EUR, soit 1,31 % du PIB, classant le pays au 16e rang dans l’UE, contre 1,6 % en 2000 (10e rang). La forte hausse des crédits publics n’a donc pas compensé la baisse des dépenses relatives des entreprises qui sont passées de 1,45 % du PIB en 2000 à 0,69 % en 2015 plaçant le Grand-Duché au 17e rang européen pour cet indicateur. Ces efforts sont par ailleurs concentrés dans un petit nombre d’entreprises (une dizaine d’entreprises représente 75 % des dépenses privées totales au Luxembourg).
Néanmoins, il est important de rappeler que la R&D ne constitue pas une finalité en soi, mais bien l’un des moyens (inputs) pour construire un écosystème favorable à l’innovation (output). Il faut également préciser que cette mesure est imparfaite dans le cas du Luxembourg. Le poids du secteur des services, traditionnellement moins intensif en R&D et dans lequel il est difficile de mesurer les dépenses concernées (notamment dans le secteur financier), l’importance du PIB ainsi que la forte présence d’entreprises appartenant à des groupes internationaux peuvent expliquer la faible intensité apparente des dépenses en R&D. Pour ce qui concerne le secteur manufacturier, on ne note pas de baisse significative des dépenses de recherche.
D’autres indicateurs dans le domaine de l’innovation montrent une situation plus favorable. D’après l’enquête communautaire sur l’innovation d’Eurostat, 65 % des entreprises luxembourgeoises de plus de 10 salariés sont dites « innovantes » (en considérant les innovations de produits, de procédés et de marché) contre moins de 50 % à l’échelle de l’UE, classant le pays au 2e rang juste derrière l’Allemagne. L’EU Innovation Scoreboard, qui synthétise les résultats de 25 indicateurs, place le pays parmi les strong innovators (9e rang sur 28) et le Global Innovation Index le place au 12e rang sur 182 pays à l’échelle mondiale. L’écart entre les classements du Luxembourg concernant les dépenses de R&D des entreprises et le caractère innovant de son économie s’explique sans doute en partie par le fait que l’innovation se nourrit aussi de transferts de technologie en provenance de l’étranger.
Il n’en demeure pas moins que le gouvernement a affiché une ambition pour 2020 allant au-delà des résultats actuels en matière d’intensité de la R&D avec une cible de dépenses publiques comprises entre 0,7 % et 0,9 % du PIB (0,64 % aujourd’hui) et de dépenses privées entre 1,5 % et 1,9 % (contre 0,67 % constatés). Si le premier objectif semble atteignable, le second apparaît comme définitivement manqué.
Consolider et coordonner les efforts
Le pays se trouve désormais dans une phase de consolidation et de mise en cohérence des efforts mis en oeuvre lors des deux dernières décennies afin de renforcer la recherche et l’innovation, en particulier dans les entreprises. Dans sa récente évaluation des politiques d’innovation luxembourgeoises, l’OCDE appelle de ses voeux une stratégie nationale d’ensemble. L’Organisation confirme que le pays est arrivé à une phase de renforcement de la masse critique et de la pertinence de la recherche publique, qu’il doit former et attirer les talents nécessaires, améliorer la gouvernance public-privé, favoriser l’innovation des entreprises et la coopération internationale. Au-delà de ces recommandations, quelques grands enjeux et exemples d’initiatives peuvent être mis en avant.
Face à la concentration des dépenses privées de R&D, il est inévitable de poursuivre les efforts pour que les PME et particulièrement les jeunes entreprises puissent s’engager dans des démarches de recherche et d’innovation. Au-delà des dispositifs d’aides directes existants et récemment renforcés (nouvelles dispositions du régime de promotion de la recherche, du développement et de l’innovation, votées le 21 mars dernier) et des initiatives d’accompagnement proposées par des acteurs comme Luxinnovation (clusters, soutien au montage de projets), d’autres pistes doivent être explorées. Le chèque d’innovation pour PME mis en place en Suisse qui vise à « inciter les PME à collaborer avec des hautes écoles et des institutions publiques de recherche » est un exemple régulièrement cité et qui devrait être étudié dans le cas du Luxembourg. IDEA creusera cette piste dans une contribution à paraître.
Dans le même état d’esprit, la multiplication des initiatives de partenariats public-privé est un point à encourager. On peut citer dans ce domaine le projet de National Composite Center, une plateforme composée d’une douzaine d’entreprises industrielles et du centre de recherche public LIST permettant de mutualiser infrastructures et compétences, ou encore le projet Space Resources mêlant également investissements publics et privés.
De nombreux pays ont mis en place des incitations fiscales à la R&D (via des mécanismes de crédits d’impôts sur les dépenses). Si leur efficacité est parfois remise en cause, notamment en raison d’effets d’aubaine (des entreprises émargeraient au dispositif alors qu’elles auraient de toute façon investit en R&D), de telles incitations, sans doute plus ciblées (par exemple en les appliquant aux dépenses « nouvelles » de R&D), pourraient être étudiées dans le cas du Luxembourg qui gagnerait en attractivité pour l’installation de centres de R&D de groupes internationaux.
L’internationalisation des entreprises, la mobilité des actifs qualifiés et le développement de nouveaux vecteurs (big data, open source, MOOC, etc.) ont considérablement facilité l’accès au « stock » de connaissances et de technologies au cours des dernières années. Le développement de « l’innovation ouverte » modifie les stratégies d’innovation (et de protection de l’innovation) des entreprises. Pour appréhender cette nouvelle donne, il est nécessaire d’encourager les acteurs (entreprises « installées » et jeunes entreprises innovantes) à se rencontrer comme le fait le Luxembourg Open Innovation Club (LOIC.lu) mais aussi les grandes entreprises à « incuber » leurs propres start-up, comme cela est le cas par exemple chez Paul Wurth avec l’InCub. La R&D comme vecteur de croissance qualitative est donc une affaire à suivre au Luxembourg.