Les habitats de 2050 seront intelligents et très verts
Que les citadins en mal de verdure, d’air pur et d’écoresponsabilité se rassurent : les bâtiments et villes du futur devraient radicalement changer nos modes de vie. Pour preuve, l’étonnant exemple de Vincent Callebaut, jeune architecte belge dont l’inventivité projette de ramener jardins et campagne au cœur des villes, en construisant des immeubles archibiotiques où plantes et arbres seront présents sur les édifices eux-mêmes. Leurs façades vertes réinventeront la façon d’utiliser les énergies. Ses projets en devenir et ses travaux déjà en cours sont si bien pensés et pertinents que la Ville de Paris a choisi Callebaut et son équipe de passionnés pour diriger l’étude Paris Smart City 2050. Mission : donner un visage nouveau et intelligent à huit quartiers historiques et emblématiques. Ces changements pourraient s’étendre à d’autres villes.
Votre but premier est d’avoir des villes intelligentes…
Oui, en anglais, on appelle cela le concept des smart cities : il s’agit là de la troisième grande révolution industrielle qui consiste en la conjonction des technologies de l’information et des communications avec les énergies renouvelables. C’est-à-dire, concrètement : quand on construit un bâtiment, par exemple une tour à Paris, rue de Rivoli, cette tour va être à énergie positive. Elle va produire plus d’énergie qu’elle n’en consomme parce qu’elle embarque énergies et technologies de pointe dès sa conception. Du coup, cette énergie va même pouvoir être redistribuée en temps réel, via une sorte de Facebook de l’énergie, à d’autres bâtiments, telles les constructions haussmanniennes historiques situées à ses alentours. Ainsi, parvient-on à inventer un tout nouveau modèle de ville, sobre en carbone.
A observer les dessins de vos réalisations déjà existantes et projets à venir, présentés dans un livre qui vient de sortir (1), l’avenir des villes sera-t-il inévitablement vertical ?
Absolument. Avec mon équipe, dans le cadre de l’équilibre climatique et la préservation de l’environnement, j’essaye d’inventer des villes multiculturelles et surtout multifonctionnelles qui réinventent le mode du vivre ensemble. Je prône donc principalement une densification verticale car, depuis l’après-guerre, on a étalé les villes à l’horizontale. Ce qui a produit, notamment à Bruxelles, un phénomène que l’on connaît hélas trop bien : celui des navetteurs. Les gens ne vivent plus du tout là où ils travaillent, mais sont obligés de se déplacer en effectuant des trajets de plus en plus longs, en transports en commun ou en voiture.
A l’heure actuelle, certains de ces immeubles semblent relever de la science-fiction. Va-t-on pouvoir les réaliser tels quels ?
Les différents modèles de tours dessinés se basent sur des types de technologies qui existent déjà ou émergent dans les laboratoires scientifiques. Et pour preuve, la seconde partie de mon livre (1) présente des tours déjà en chantier et démontre que les projets sont tout à fait réalisables. Comme la tour résidentielle de Taïpeï, de 50.000 m², qui sera recouverte de plus de 25.000 arbres et arbustes, et divisera par deux sa consommation énergétique par rapport à un bâtiment conventionnel actuel, grâce à l’intégration des énergies renouvelables.
Tout ceci montre que l’on peut rêver très loin...
Oui, et que ces rêves sont réalisables ! Dans le jargon des pros de l’architecture, on appelle cela « l’utopie concrète » : une ou plusieurs utopies envisageables sur le temps d’une vie ou au cours d’une existence et d’une carrière d’architecte. Vous savez, on m’a souvent pris pour un fou. Mais il y a désormais beaucoup d’investisseurs désireux de travailler avec mon bureau d’architecture. Lorsque Paris m’a confié l’étude de projet pour 2050, j’étais heureux et surpris car, jusque-là, je travaillais essentiellement dans les pays émergents : l’Asie et l’Amérique du Sud. Quel bonheur de savoir que l’équipe avec laquelle j’exerce là-bas va pouvoir collaborer avec moi dans la Ville Lumière. Et montrer notre expérience au cœur d’une cité internationalement connue avec un patrimoine historique des plus intéressants.
Un néologisme apparaît dans votre livre : « l’archibiotique ». De quoi s’agit-il exactement?
J’ai proposé ce mot en 2008, il regroupe l’architecture, le biomimétisme et les technologies de l’information. Les architectures de demain vont permettre de fusionner l’intelligence des matériaux, des structures, des écosystèmes, semblables à ceux que l’on peut retrouver dans la nature, et des réseaux de communication créés par l’homme. Tout cela va inventer et déterminer les villes du 21e siècle et le patrimoine de demain. Il y aura une totale émulation intellectuelle et créative autour de ces nouveaux projets.
Vos dessins montrent des immeubles très verts, recouverts de beaucoup de végétation. Tout ceci pourra-t-il vraiment être entretenu à long terme ?
Oui, c’est un peu le fil d’Ariane fortement végétalisé dont le but est de lutter contre le réchauffement climatique grâce à l’évapo-transpiration des plantes en bioclimatisant la ville sans recourir à des systèmes de climatisations mécaniques. On pourra alors réduire naturellement la température ambiante de la cité de 2 à 5 degrés. Donc, il ne s’agira pas seulement d’une végétalisation à dessein cosmétique pour embellir les constructions, mais aussi d’une végétalisation nourricière. On va demander au citoyen de demain de ne pas être simplement consommateur de et dans la ville, mais d’être aussi acteur, de se retrousser les manches pour créer des cités en véritable symbiose avec la nature et ses éléments.
D’où, également, le projet des tours maraîchères…
On les appelle également des fermes verticales. Elles permettront à chaque citoyen de cultiver sa propre alimentation biologique sur les toits ou les balcons. Quant aux citadins qui n’ont pas la main verte, ils pourront convier les agriculteurs de nos campagnes à venir exercer leurs talents jusque dans les villes. Tout ceci n’est absolument pas une utopie. Pour preuve, l’existence de la tour spiralée déjà existante de Taipei : elle montre que l’on est tout à fait capable de concrétiser et faire perdurer ce genre de construction
Ces initiatives vont changer la façon de se loger, mais aussi celle de vivre avec ses voisins. L’innovation architecturale sera-t-elle aussi, par conséquent, une innovation sociale?
Certainement. Cela fait partie de nos ambitions collatérales. Socialement, on aboutit à des phénomènes urbains nouveaux, tels les FabLabs ou ressourceries, où des gens viennent dans des ateliers communautaires de quartier apporter leurs vieux meubles. Au lieu d’être jetés, ceux-ci sont recyclés. On va aussi inviter les citoyens à venir en ville non seulement pour flâner, mais aussi ouvrir et entretenir des espaces verts communs sur les balcons. Ceci devrait lutter contre certains clivages ou communautarismes.
De nouveaux modes de vie faciliteront le mieux vivre ensemble.
Au-delà de toutes ces réjouis-santes perspectives, pensons aux moyens économiques. En 2050, Paris sera-t-elle financièrement prête à accueillir ces grands changements?
Le gros problème de notre époque réside dans le fait que nous nous basons sur une économie à court terme. Et cela concerne tous les domaines : industriels, alimentaires ou immobiliers. Nous proposons, dès lors, de changer le curseur du temps et de penser à moyen terme. Concrètement, on propose des bâtiments produisant leur propre énergie qui coûtent entre 20 et 30 % plus cher, avec les façades photovoltaïques, les toitures solaires, etc. Mais après dix ans d’exploitation, on parviendra à baisser entre 50 et 100 % la facture énergétique de ces constructions. Au final, celles-ci seront beaucoup plus durables et bien moins cher que les bâtiments érigés actuellement.
Propos recueillis par Carol Thill
(1) Paris 2050 – Les cités fertiles face aux enjeux du XXIe siècle, Vincent Callebaut, 29,95 EUR, éditions Michel Lafon.