Les entreprises s’adaptent et les critères changent
Avec notamment la fin du télétravail tel que nous l’avons connu depuis plus de 2 ans, la guerre en Ukraine, les pénuries de certains composants et marchandises, l’inflation et les hausses conséquentes des prix des énergies annoncées pour les prochaines semaines, comment les entreprises appréhendent-elles le marché immobilier ? Laurent Cooreman, Founder et CEO de SQUARE METER, et Véronique Koch, Director, nous font part de leur ressenti.
Dans le contexte économique et politique actuel, quelles sont les grandes tendances dans le secteur de l’immobilier ?
Le marché de la location, depuis 2020, a connu bien sûr un ralentissement dû à la crise sanitaire, et qui perdure toujours. Depuis le 30 juin, les mesures exceptionnelles concernant le télétravail étant terminées, même si une période transitoire subsiste jusqu’à la fin de l’année, on observe dès lors qu’une part importante des entreprises ayant un besoin en surface entre 300 et 600 m², qui avaient mis en stand-by leurs recherches immobilières faute de pouvoir évaluer leurs besoins réels en espace en anticipant la période post-COVID, sont de nouveau actives sur le marché, et le seront probablement encore plus au 4e trimestre et au début de l’année 2023.
Durant la crise sanitaire, les petites structures occupant des espaces inférieurs à 300 m² n’ont pas cessé d’être actives, étant donné qu’elles ont des besoins à plus court terme et pour des durées moins importantes. Les grands acteurs ont continué de se projeter à long terme, ce qui a permis au marché de réaliser quelques belles transactions. Ces prélocations rendant possible le financement et donc le démarrage des projets. Malgré toutes les tensions que nous connaissons, on peut dire qu’il existe une demande soutenue et constante de la part des entreprises et que le volume de transactions est correct.
La fin du télétravail a-t-elle des conséquences sur la localisation ?
Clairement, de nombreuses entreprises se concentrent en ce moment sur le centreville, sur le coeur de Luxembourg-Ville, non seulement parce qu’il est prestigieux, mais parce qu’il offre une large palette de services (transports en commun, restaurants, magasins…) À l’heure où il faut à nouveau motiver les salariés à revenir au bureau et à se déplacer, notamment les frontaliers, et les retenir, les entreprises misent sur des localisations attrayantes, certaines analysant précisément les différents temps de trajet de leur personnel afin de ne léser aucun salarié au niveau de la distance domicile-travail.
Étant donné qu’il existe peu de grands bâtiments en centre-ville, ce type de demande concerne avant tout les petites et moyennes entreprises, et les biens disponibles sont pris très rapidement. En parallèle, on observe un intérêt croissant de la part des entreprises pour des bureaux satellites localisés près des frontières avec l’Allemagne, la Belgique et la France pour diminuer le temps de trajet des frontaliers.
Les entreprises se mettent-elles au mode seconde main ?
Oui, c’est un autre phénomène que nous observons aussi depuis quelque temps et qui figure en tête de liste des critères importants dans la prise d’un bien. Les entreprises se montrent plus attentives au fait que les surfaces soient déjà aménagées, donc opérationnelles dès la prise en occupation, alors qu’elles aimaient « customiser » leurs locaux auparavant. Plusieurs facteurs semblent être à l’origine de ce phénomène : la crise COVID, la volonté de réduire les coûts, les délais d’approvisionnement de certains matériaux, la prise de conscience environnementale…
En ce moment, le second hand fonctionne bien, de même que les business centers, même prisés dorénavant par des grands acteurs qui ont besoin de plusieurs milliers de m² et pour lesquels la flexibilité est un élément important, comme nous avons pu le voir par exemple à la Cloche d’Or.
« Les entreprises se montrent plus attentives au fait que les surfaces soient déjà aménagées, donc opérationnelles dès la prise en occupation, alors qu’elles aimaient « customiser » leurs locaux auparavant. »
La fin de l’année et le début de 2023 sont redoutés par de nombreux experts. Comment voyez-vous les choses ?
En effet, les mois qui viennent devraient voir la continuité de l’augmentation des taux d’intérêt, les taux directeurs de la Banque Centrale Européenne ayant déjà été relevés une première fois. Les taux variables ayant eux aussi déjà commencé à augmenter, cela va indéniablement impacter les financements et, par ce biais, les prix de l’immobilier.
« En ce moment, le second hand fonctionne bien, de même que les business centers, même prisés dorénavant par des grands acteurs qui ont besoin de plusieurs milliers de m² et pour lesquels la flexibilité est un élément important. »
Les hausses des prix de l’énergie vont se répercuter sur les charges des bâtiments, donc sur les entreprises locataires/propriétaires – surtout pour celles qui occupent plusieurs milliers de m² – et qui vont se poser la question de savoir si leur espace professionnel est encore bien adapté à ces différentes hausses de coûts (chauffage, électricité…, qui sont indispensables). Les investissements, notamment ceux qui visent à améliorer l’impact environnemental des bâtiments pour en maintenir la valeur et les revenus, vont en souffrir. Les projets seront vraisemblablement reportés, donc les artisans en pâtiront. Entrera-t-on en récession ? Certains pensent que nous y sommes déjà, d’autres se veulent plus optimistes. Pour faire face, les entreprises vont être contraintes de se poser des questions liées à l’optimisation des coûts/charges, ce qui pourrait conduire à de l’instabilité.
Les entreprises américaines ont déjà commencé à licencier, notamment dans le secteur IT. À voir si l’Europe connaîtra le même phénomène dans les 12-18 mois qui viennent, mais, vu que l’économie n’aime pas l’instabilité, les prochains mois risquent d’être compliqués…
« De nombreuses entreprises se concentrent en ce moment sur le centre-ville, sur le coeur de Luxembourg-Ville, non seulement parce qu’il est prestigieux, mais parce qu’il offre une large palette de services (transports en commun, restaurants, magasins…) À l’heure où il faut à nouveau motiver les salariés à revenir au bureau et à se déplacer, notamment les frontaliers, et les retenir, les entreprises misent sur des localisations attrayantes. »
Propos recueillis par Isabelle Couset