Le télétravail, la crise énergétique,
et la sous-estimation des impacts
Le télétravail va-t-il survivre à la crise de l'énergie cet hiver ? Si le coût des transports privés (publics), des cafés et des snacks plaident pour un travail à domicile, avec le prix de l'énergie qui s’envole, certains salariés vont refaire leurs calculs. Cette nouvelle culture, qui semblait fermement implantée dans nos modes de vie, risque alors d’être remise en cause.
Les ménages les moins aisés, locataires ou propriétaires, de logements mal isolés la plupart du temps, craignent de voir grimper leur facture énergétique en restant chez eux, et ce malgré le bouclier tarifaire. Outre le chauffage domestique, les outils qu’ils utilisent pour travailler sont aussi énergivores.
Dans un article paru dans le journal anglais The Guardian en septembre 2022, la journaliste britannique, Jane Paury, observe que, si 40 % des travailleurs adultes au Royaume-Uni continuent après le lockdown à poursuivre leur travail dans différentes régions géographiques du pays (cf. The Economic and Social Research Council), beaucoup d’entre eux pourraient revenir sur leur lieu de travail pour ne pas être confrontés au prix du chauffage domestique et bénéficier ainsi du chauffage du bureau.
Seuls les plus aisés, qui disposent d’un habitat souvent bien mieux isolé, pourront se permettre de rester chez eux tout en baissant le chauffage comme les pouvoirs publics le leur demandent.
Selon Adam Scorer, directeur de National Energy Action, un syndicat anglais de consommateurs, interviewé par la RTBF, une facture d’énergie moyenne sera d’environ 4.135 EUR par an pour les Britanniques (à partir du mois d’octobre) alors qu’il y a un an, elle s’élevait à 1.420 EUR. Certains Anglais menacent même de faire la grève des factures. Il est vrai que les conditions de logement des Britanniques, de manière générale et vues du continent, sont peu enviables (absence de double vitrage, isolation des murs voisine de zéro…).
En France, l'État, plus interventionniste, a décidé de geler la montée des prix de l'électricité et du gaz (bouclier tarifaire). À cette fin et selon certaines modalités, la moitié des factures d'électricité des ménages sera prise en charge et des mesures sont en voie d’être prises pour les entreprises.
En suggérant fortement le recours accru au télétravail pour diminuer les déplacements domicile-travail jugés consommateurs d’énergie, les propos du gouvernement ont soulevé un tollé. Les citoyens y ont vu un transfert d'économie d'énergie de l’État vers les travailleurs. Les ménages les moins aisés, locataires ou propriétaires, de logements mal isolés la plupart du temps, craignent quant à eux de voir grimper leur facture énergétique en restant chez eux, et ce malgré le bouclier tarifaire. Outre le chauffage domestique, les outils qu’ils utilisent pour travailler sont aussi énergivores – la visio-conférence, les écrans, souvent au nombre de deux, etc.
Télétravailler dans des passoires thermiques ?
Dans le rapport Futurs énergétiques 2050 paru en octobre 2021, le Réseau français de Transport d’Électricité (RTE) indique qu’il n’ y aura pas d’économies significatives réalisées en coupant le chauffage central à l’échelle d’un bâtiment – hébergeant une entreprise ou un collectif de propriétaires/locataires – , dès lors qu'un seul étage serait vide ou bien la moitié de l’immeuble plein.
En Irlande, un article paru dans Paperjam (Thierry Labro) montre comment ce petit pays a déployé une stratégie nationale sur le télétravail dès janvier 2021, abattement fiscal à la clé. Cette stratégie aurait permis d’éviter l’émission de 164.000 tonnes de CO2 pour une valeur supérieure à 7,6 millions EUR. Les surcoûts de chauffage et d’électricité qui sont respectivement de l’ordre de 79 EUR et 30 EUR par salarié seraient compensés par une économie en moyenne de 413 EUR liée aux déplacements. Moins de déplacements polluants certes, mais toujours autant de logements connus pour être des passoires thermiques depuis des décennies, tout comme chez leurs voisins anglais. Avec la crise énergétique qui s’annonce sévère, télétravailler n’est pas, dans ce pays comme ailleurs, un geste vert. Le Premier ministre luxembourgeois a de son côté déclaré prudemment au journal Le Quotidien : « Le télétravail fait partie de la solution environnementale mais n’est pas la solution à tout ».
En fin de compte, cette crise énergétique montre en particulier la responsabilité du secteur du bâtiment qui doit entreprendre une transformation profonde de ses pratiques. Cela passera par une révolution thermique, c'est-à-dire forte isolation, exploitation des apports solaires par du vitrage au Sud, ventilation naturelle...
Les règles du jeu doivent être posées par l’État dans la plupart des pays. Un débat public doit être organisé, le modèle économique discuté par les professionnels et les pouvoirs publics.
Imposer des pratiques de chauffage en période de crises énergétiques aux citoyens est inacceptable et socialement injuste. Les transitions ne peuvent réussir sans l’adhésion de tout le monde.
Martine Borderies