Le crowdfunding ou la finance
partout, par tous, pour tous ?
Le crowdfunding ou financement participatif constitue une forme émergente de financement qui met en relation via des plateformes numériques des personnes qui souhaitent donner, prêter ou investir avec des porteurs de projets de tout acabit.
Inconnu de près de 40 % des résidents au Luxembourg, quelques éclaircissements s’imposent.
Une forme de financement balbutiante ou circonscrite
Au niveau européen, le Royaume-Uni apparaît comme le champion du crowdfunding, hébergeant plus d’un quart des plateformes (143 sur 510), plus de 70 % des projets et 90 % du total des capitaux levés (soit 1,8 sur 2 milliards EUR), suivi, mais guère talonné, par la France (6 % des projets et 3 % des montants), l’Allemagne (2 % des projets comme des montants) et les Pays Bas. Les projets transfrontaliers, c’est-à-dire ceux dont la localisation diffère de celle de la plateforme, sont encore largement minoritaires (moins de 8 % des montants), preuve de l’importance de « l’ancrage local » dans la décision de financement et le succès des plateformes.
Le crowdfunding sous toutes ses formes
On distingue quatre formes de financement participatif : le don (charity based crowdfunding) et les récompenses non financières, souvent le produit ou le service que le projet vise à financer (reward based crowdfunding) d’une part, les prêts (crowdlending) et l’investissement (crowdinvesting) d’autre part. Au Luxembourg, comme en France et en Belgique, le financement basé sur des récompenses non financières domine, en termes de projets comme de montants, dénotant un certain engagement philanthropique des participants. En Allemagne, comme aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, les prêts dominent.
Concrètement, que représente le crowdfunding au Luxembourg ?
Le développement du financement participatif reste très limité. Selon un récent sondage (TNS Ilres), 17 % de la population résidente auraient déjà financé un projet. Si deux plateformes de financement luxembourgeoises, offrant des récompenses symboliques furent lancées en 2010 et 2014, aucune n’a pu se pérenniser faute d’atteindre une masse critique de financeurs et de porteurs de projets. 46 campagnes ont donc été financées au Luxembourg, pour un montant de 3.400.000 EUR, ce qui représente une goutte d’eau dans la mare du crowdfunding, elle-même minuscule dans l’océan du financement de projets. Ainsi, les projets de dons et de récompenses non financières représentent 57 % des montants engagés sur les plateformes de financement participatif (jusqu’en 2016). En « comparaison », pour la seule année 2013, les ménages résidents auraient dépensé un montant dix fois supérieur (20.672.740 EUR) pour des dons à des associations.
Mais faible ne veut pas dire absent. On peut citer un exemple phare de financement participatif : en 2013, l’Artbook tiré du film d’animation franco-luxembourgeois Mr Hublot, couronné aux Oscars, a pu être financé à hauteur de 11.990 EUR par 221 contributeurs (sur un objectif de 7.000 EUR) via une plateforme de crowdfunding. Récemment, des projets de financement participatif immobilier se sont développés, promettant des retours sur investissement très élevés (8 % par an sur 28 mois) et des tickets d’entrée tout aussi « faramineux » (200.000 EUR) – rendant la notion de « financement par la foule » peu appropriée...
Au vu des formes de financement privilégiées et des montants levés, les plateformes de financement participatif ne sauraient constituer des concurrents sérieux aux banques traditionnelles comme il est parfois avancé. Elles pourraient même en être de précieux compléments : certaines banques apportent un soutien financier à des projets innovants, à l’image de la Banque Postale en France qui finance 50 % d’un projet « coup de coeur » par mois ; d’autres sont actionnaires de plateformes de prêts et d’autres encore créent leur propre plateforme participative.
Répartition des projets et des montants engagés par catégorie de financement participatif au Luxembourg (fin 2016)
Source des graphiques : Crowdsurfer (Cambridge-based crowd finance data intelligence specialist, providing analytics
and insights into crowd financing markets by pulling together data from crowdfunding and P2P platforms).
Pourquoi pas ?
Si le financement participatif n’a pas (encore) vraiment trouvé sa place tant du côté des plateformes locales que des porteurs de projets ou des financeurs, il est inutile de crier au loup. Au Luxembourg, les raisons peuvent être démographiques (« faible » population), culturelles (aversion au risque, esprit d’entreprise insuffisant, préférence pour le don et le mécénat « traditionnel ») comme financières (accès au financement ouvert, préférence pour des actifs sûrs). Car aux racines du partage se situent l’envie ou le besoin.
Si les prêts comme les prises de participation « par la foule » ne sont pas sans risque (manque de savoir-faire, de transparence des informations communiquées, de protection de l’investisseur contre la fraude, de sécurité des données, risque de réputation, etc.), ils ne sont pas non plus sans attraits (complément au financement traditionnel et au capital d’amorçage, proof of concept via une campagne réussie pour accéder à des sources de financement traditionnelles, levée de fonds plus rapide, innovation financière et entrepreneuriale, activation de l’épargne et diversification du patrimoine, etc.).
Et si l’on considère qu’il est nécessaire d’inciter les résidents à diversifier leur patrimoine, de leur transmettre la culture du risque et de développer la financial literacy, la question de l’utilité d’un crowdfunding act se pose. Plusieurs pistes sont à défricher. Ainsi, le ministre des Finances, Pierre Gramegna, a ouvert la réflexion quant à l’opportunité d’un nouveau statut « d’intermédiaire en financement » et d’« un cadre adapté et allégé » à des activités diverses (voir la réponse à la question parlementaire n° 243 de juin 2014). Dans le domaine « éducatif », un module « montage de projet et crowdfunding » pourrait être intégré aux entrepreneurial schools récemment promues par le gouvernement. Enfin, dans le cadre de la création d’un écosystème favorable aux business angels et au capital-risque(1), des mesures fiscales favorables au financement participatif pourraient être étudiées (entre la défiscalisation des dons ou libéralités et la complexe bonification d'impôt pour investissement en capital-risque) à l’instar de nos voisins belges. Dans une Europe post-Brexit et de possible perte du passeport européen, il est important de peaufiner les effets d’image dans un souci d’attractivité. A toutes f(a)in(m)s utiles.
(1) Voir : Michel-Edouard Ruben, (septembre 2016), Document de travail Productivité : tellement de désaccords (En fait non, pas tant que cela !), p 18-19.