La réforme du droit d’auteur dans l’UE : une nouvelle protection contre l’hégémonie des GAFA ?
En matière de réforme visant à faciliter l’émergence d’un marché unique du numérique, on aura souvent entendu ces jours derniers l’application du Règlement Général pour la Protection des Données, permettant de doter tous les Etats membres d’un degré commun et élevé de protection des données personnelles. Une autre réforme, non encore entrée en vigueur, pourrait également avoir le même retentissement dans certains secteurs : la proposition de directive « sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique » (COM (2016) 593 final).
Cette dernière vise à compléter, sans la remplacer, la législation européenne actuellement en vigueur en la matière (et notamment la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information).
Outre la création de nouvelles exceptions en matière de droits d’auteur non traitées ici, cette directive vise clairement à répartir de manière plus équitable la valeur dans le marché numérique face aux grands acteurs dans le domaine et notamment les GAFA. Les grandes plateformes de partage en ligne, en tant qu’hébergeurs, seront ainsi soumises à de nouvelles obligations (I). D’autre part, les éditeurs de presse, qui avaient de plus en plus de difficultés à lutter contre la reprise en ligne abusive de leurs publications, se verront attribuer de nouveaux droits (II).
I. Des obligations renforcées pour les hébergeurs de contenus en ligne
Tel qu’il résulte de la législation actuelle, les hébergeurs de contenus sur Internet (c’est-à-dire les prestataires dont les services consistent seulement à stocker des informations fournies par un utilisateur du service) bénéficient d’un régime de responsabilité assoupli, tiré de l’article 14 de la directive E-Commerce 2000/31/ CE, transposée en droit luxembourgeois à l’article 62 de la loi du 14 août 2000 relative au commerce électronique.
Ces derniers n’étaient en effet tenus responsables des contenus stockés à la demande d’un utilisateur (par exemple, dans le cas de l’hébergement de contenus en violation du droit d’auteur) qu’à la condition que :
- le prestataire n’ait pas effectivement connaissance que l’activité ou l’information est illicite ou que les circonstances ne rendent pas apparent le caractère illicite de l’activité ou l’information (dans le cadre d’une action en dommages et intérêts) ;
- le prestataire, dès le moment où il en a une telle connaissance, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible ; et
- l’utilisateur n’agisse pas sous le contrôle ou l’autorité du prestataire de services.
Généralement, la qualité d’hébergeur était reconnue dès lors que le prestataire de services n’avait qu’un rôle passif dans la mise à disposition de contenus par les utilisateurs. En revanche, dès lors que ce dernier avait un rôle plus actif, notamment en optimisant la présentation du contenu mis en ligne ou en assurant sa promotion, alors il ne pouvait plus se revendiquer du régime de responsabilité assouplie.
La directive allait encore plus loin sur cette « irresponsabilité » des hébergeurs : ces derniers ne peuvent être tenus d’une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ni d’une obligation générale de rechercher des faits ou circonstances indiquant des activités illicites.
C’est une telle disposition que la proposition de directive souhaite en partie aménager. En effet, selon cette dernière, les hébergeurs doivent désormais mettre en œuvre les mesures appropriées afin d’assurer le bon fonctionnement des accords conclus avec des titulaires de droits sur des œuvres protégées et surtout afin d’empêcher la mise à disposition d’œuvres protégées. Parmi ces mesures, il est cité ainsi les techniques de reconnaissance des contenus.
La proposition de directive va ainsi dans le sens de l’établissement d’une coopération obligatoire entre les titulaires de droits sur les œuvres et les hébergeurs, quelle que soit leur taille (notamment ceux des GAFA tels que YouTube). Ces derniers ne peuvent plus ne pas participer à la lutte contre la contrefaçon en ligne. A l’inverse de ce qui était prévu auparavant, une certaine obligation de vigilance renforcée est ainsi retenue pour les hébergeurs.
II. La création d’un droit voisin au droit d’auteur au profit des éditeurs de publications de presse
Sous la législation actuellement en vigueur, les éditeurs de presse font face à beaucoup de difficultés pour faire valoir leurs droits dans le cadre de la mise en ligne de leurs publications par des tiers.
L’émergence de l’Internet et du numérique a rendu en effet très courante l’exploitation des publications des éditeurs par des agrégateurs d’informations et des moteurs de recherche sur Internet. Il est difficile pour les éditeurs de s’imposer face à de telles pratiques, notamment parce que :
- les procédures judiciaires peuvent être longues et compliquées dans la mesure où l’éditeur de presse doit prouver que tous les droits d’auteur sur la publication lui ont été cédés avec la possibilité d’agir en justice, puis démontrer que l’extrait repris sur Internet est original afin de justifier l’emprise du droit d’auteur ;
- les éditeurs ne peuvent se prévaloir des compensations équitables prévues pour des utilisations des publications couvertes par des exceptions au droit d’auteur, telles que l’exception de copie privée en vertu de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en la matière.
Pour tenter de remédier à ces difficultés, la proposition de directive crée un droit voisin au droit d’auteur au profit des éditeurs de presse pour l’utilisation numérique de leurs publications de presse, qui ne nécessite plus ainsi de prouver l’ensemble des cessions à son profit ni la mise en œuvre de la condition d’originalité.
De même, selon la proposition de directive, la cession ou la licence de droits d’auteur octroyée par un auteur à l’éditeur constitue un fondement juridique suffisant pour que ce dernier puisse revendiquer une part de la compensation versée pour les utilisations de l’œuvre faites en vertu d’une exception ou limitation audit droit.
La création de ce nouveau droit voisin permet ainsi de mettre un terme aux difficultés des éditeurs de presse.
En conclusion
Si la réforme du droit d’auteur telle que proposée par la Commission avance des solutions utiles pour contourner certaines difficultés d’application du droit d’auteur, on peut douter qu’elle opère une véritable « redistribution » de la valeur sur Internet et une protection contre les GAFA. Les grandes plateformes en ligne de mise à disposition de contenus ont déjà en effet intégrés des mesures de reconnaissance du contenu protégé par le droit d’auteur tandis que les aggrégateurs d’informations se sont déjà adaptés en ne proposant très souvent que des liens hypertextes vers les sites des éditeurs de presse.