La mise à disposition du salarié, par l’employeur, d’un véhicule est très utilisée au Luxembourg comme mode de rémunération. Mais si elle n’est pas bien encadrée contractuellement, cette mise à disposition peut aussi générer de nombreuses questions.

Me Céline Lelièvre, Associée, DCL Avocats
Me Céline LelièvreAssociéeDCL Avocats

Ainsi, cette mise à disposition constitue-t-elle toujours un avan­tage en nature ? Lorsqu’il s’agit d’un avantage en nature, qu’en est-il en cas de maladie ou pendant le préa­vis en cas de rupture du contrat ? Il ne saurait être répondu de manière exhaustive à toutes ces probléma­tiques en quelques lignes. Nous allons néanmoins tenter d’apporter quelques éclaircissements.

La qualification de la mise à disposition d’un véhicule

La question de la qualification de la mise à disposition d’un véhi­cule revient à se poser la question des modalités de rémunération du salarié. En effet, si la mise à disposition du  véhicule est qua­lifiée d’avantage en nature, alors, conformément aux dispositions de l’article L. 221-1 du Code du travail, cet avantage sera consi­déré comme partie intégrante de la rémunération du salarié.  A l’inverse, si cette mise à dis­position n’est pas considérée comme un avantage en nature, mais uniquement comme un outil mis à la disposition du salarié pour exécuter sa mission, au même titre qu’un ordinateur ou n’importe quelle autre machine, la voiture ne sera alors pas considérée comme un élément de sa rémunération et les conséquences seront dif­férentes. Bien évidemment, cette question ne se pose pas si l’avan­tage est mentionné comme tel dans la fiche de paie. Mais qu’en est-il lorsqu’un véhicule est mis à disposition et que la fiche ne le mentionne pas ?

Il importe en premier lieu de noter que le régime applicable en cas de mise à disposition d’un véhicule ne saurait dépendre de la qualification retenue par les parties. Ainsi, la jurisprudence luxembour­geoise utilise les termes « voiture de fonction » ou « voiture de ser­vice » sans que cela préjuge ou non de l’existence d’un avantage en nature. Le critère déterminant pour définir si la mise à dispo­sition d’un véhicule constitue un avantage en nature sera le droit, ou non, du salarié d’utiliser ledit véhicule à des fins privées.

Ainsi, dans une décision du 12 décembre 1997, le tribunal du travail posait comme principe : « la mise à disposition d'une voiture de service, c’est-à-dire destinée à permettre au salarié d'exercer les fonctions pour lesquelles il a été engagé, ne peut être considérée comme avantage en nature pou­vant être inclus comme élément de salaire. Il doit cependant en être autrement lorsque, comme en l'espèce, la mise à disposition d'une voiture est stipulée dans le contrat d'emploi comme simple avantage, sans rapport aucun avec l'exercice des fonctions du salarié ».

Attention toutefois, une tolérance de l’employeur sur une utilisation à des fins privées ne permet pas, à elle seule, de conclure qu’il y a un avantage en nature. Il faudra un accord écrit de l’employeur ou des présomptions graves, précises et concordantes. En pareille hypothèse, il appartiendra au salarié de rapporter la preuve de l’avantage en nature et donc l’accord de l’employeur pour une utilisation privée. Tel est le sens d’une décision de la cour d’appel du 7 février 2002 : « la Cour a consi­déré que le salarié reste en défaut d’établir soit l’existence d’un accord écrit de la part de son employeur quant à l’utilisation du véhicule de service à des fins privées, soit encore un accord implicite de ce dernier allant bien au-delà d’une simple tolérance et découlant d’une uti­lisation régulière et systématique du véhicule à des fins privées, uti­lisation qui aurait eu lieu au vu et au su de l’employeur sur un laps de temps important et qui, de par son importance, aurait permis de présumer de manière grave, précise et concordante que l’employeur avait tacitement marqué son accord quant à l’utilisation à des fins pri­vées du véhicule de service mis à la disposition du salarié. Restant en défaut de rapporter cette preuve, le salarié ne pouvait continuer à utiliser à des fins privées le véhicule de service à partir du moment où son employeur l’avait dispensé de travailler, de sorte qu’il fût tenu de le restituer.»

Plusieurs facteurs seront alors examinés pour qualifier la mise à disposition d’un véhicule d’avantage en nature ou pas. Ainsi, si l’assurance prise par l’employeur couvre à la fois l’usage profession­nel et privé, si l’employeur assure la prise en charge de l’entretien et des révisions, les impôts et toutes les dépenses liées au fonctionne­ment, alors la mise à disposition du véhicule constituera un avantage en nature. Ainsi, la cour d'appel, dans un arrêt du 3 juillet 2007, a estimé que : « c’est à juste titre et par des motifs que la Cour adopte, et qui répondent de façon exhaustive aux moyens et arguments développés tant en première instance qu’en instance d’appel : que la juridiction du premier degré a retenu que la mise à disposition gratuite d’un véhicule de fonction, couvert d’une assurance, pour un usage tant pro­fessionnel que privé, ainsi que la prise en charge de l’entretien, des révisions, des impôts ainsi que de toutes autres dépenses liées au fonctionnement normal de la voi­ture, constituait, eu égard au droit accordé au salarié d’user de cet outil de travail sans restriction à des fins privées, ce qui lui permettait d’économiser des frais personnels, un véritable avantage en nature ayant un caractère de rémunéra­tion et partant un supplément de salaire soumis en tant que tel à l’impôt sur le revenu ».

L’intérêt de la qualification

La question de la qualification pourra se poser notamment en cas de maladie ou de rupture du contrat de travail.

En cas de maladie, l’article L. 121-6 du code du travail dis­pose que « le salarié incapable de travailler a droit au maintien intégral de son salaire et des autres avantages résultant de son contrat de travail jusqu’à la fin du mois de calendrier au cours duquel se situe le soixante-dix-septième jour d’incapacité de travail pendant une période de référence de douze mois de calendrier successifs. Un nouveau droit à la conservation du salaire n’est ouvert qu’au début du mois suivant celui pour lequel cette limite n’est plus atteinte ».

Ainsi, la voiture considérée comme un avantage en nature devra être laissée à disposition du salarié en cas de maladie, conformément au vœu de cette disposition. En cas de rupture du contrat de travail, et tant dans l’hypothèse d’un licenciement que dans celle d’une démission, le salarié est censé exécuter un préavis. L’employeur peut toutefois dispenser son salarié d’exécuter ledit préavis. La question est alors de savoir quel est le sort à réserver à la voiture.

L’article L. 124-9 du Code du travail précise que « jusqu’à l’expiration du délai de préavis, la dispense visée à l’alinéa qui précède ne doit entraîner pour le salarié aucune diminution des salaires, indemnités et autres avantages auxquels il aurait pu prétendre s’il avait accompli son travail. Le salarié ne peut pas pré­tendre aux avantages que repré­sente le remboursement de frais occasionnés par le travail, notam­ment des indemnités de repas, des indemnités de déplacement ou des indemnités de trajet ».

En conséquence, si le véhi­cule n’est qu’un outil qui ne peut être utilisé à des fins privées, le salarié ne peut prétendre la conserver durant le préavis dis­pensé ou demander l’équivalent de l’avantage en nature en argent. A l’inverse, si le véhicule constitue un avantage en nature, le salarié devra conserver cet avantage du­rant toute la durée de son préavis. Le cas échéant, l’employeur pourra réclamer le véhicule, à charge de compenser l’avantage en nature.

C’est ce que rappelle le tribunal du travail dans une déci­sion du 13 mars 2006 : « quant à la demande en obtention d’un montant de 375 EUR réclamés à titre d'indemnisation de l'avan­tage prévu après la période du 31 mai 2005 consistant dans la mise à disposition d'une voiture de fonction, il y a lieu d'appliquer le même raisonnement et de dire que le salarié ne peut être péna­lisé par la dispense de travail lui accordée. A ce sujet, il y a lieu de noter qu'il n'est pas contractuel­lement prévu entre parties que la mise à disposition du véhicule de fonction ne serait faite qu'à titre exclusivement professionnel. En effet, en cas de prévision contrac­tuelle que la mise à disposition de la voiture de fonction est faite à des fins strictement professionnelles, il faut conclure que la voiture de fonction constitue un simple outil de travail afin de permettre au salarié d'assurer ses déplacements professionnels occasionnés par son travail. La voiture de fonction est alors à considérer comme un agrément accordé par l'employeur au salarié en contrepartie du travail fourni par lui pour lequel il ne peut demander aucune indemnisation en cas de dispense de travail. Dans cette hypothèse, il y a lieu d'appliquer le principe retenu par l'article 26 de la loi sur le contrat de travail, prévoyant que le salarié ne peut prétendre au rembour­sement de frais occasionnés par le travail tels qu'indemnités de trajet. Or, lorsque la voiture de fonction est mise à disposition à des fins tant professionnelles que privées, il y a lieu de conclure qu'il s'agit d'un avantage auquel le salarié a droit même en cas de dispense de travail.En l'espèce, en l'absence de restrictions contrac­tuelles en sens contraire, il faut conclure qu'il était prévu entre parties qu'une voiture de fonction serait mise à disposition de M. Xà partir du mois de juin 2005 à des fins tant professionnelles que privées tel qu'il est d'usage dans les entreprises. Il s'ensuit que M. X a droit à l'indemnisation de cet avantage ».

Enfin, se pose la question de savoir si l’employeur peut imposer à un salarié qui démissionne de racheter le véhicule qui avait été mis à sa disposition. Pour cette ques­tion, il conviendra de se reporter à un article publié précédemment dans entreprises magazine (n° 45, janvier-février 2011, page 109).

Dans toutes les hypothèses, il sera important de régler toutes les questions relatives à la voiture mise à disposition du salarié dans le contrat de travail : assurance, entretien, réparations, kilométrage privé, etc., la clarté étant souvent la meilleure solution pour éviter les conflits.