La fiscalité internationale des plans de pension d’entreprises
Lorsqu’en 2000, le Luxembourg a encadré juridiquement les plans de pension d’entreprises, il a aussi opté pour une fiscalité assez singulière. En effet, alors qu’en général c’est la prestation financée dans le cadre d’un tel plan de pension qui est imposée au moment de sa liquidation, le gouvernement de l’époque alla à contre-courant de cette tendance, en optant pour une taxation des allocations patronales finançant ces pensions complémentaires.
A priori, une telle attitude peut se comprendre quand on sait que le marché du travail luxembourgeois compte aujourd’hui 170.000 travailleurs frontaliers sur une population active globale de 380.000 salariés. Mais en adoptant ce principe sans prévoir de mesures d’accompagnement à l’égard des travailleurs frontaliers, le Grand-Duché plaçait aussi ceux-ci, par la même occasion, dans une position pour le moins inconfortable. En effet, dans la plupart des autres Etats, ce type de prestations est imposé au moment de son attribution.
Ainsi, si cette « imposition à l’entrée » (au taux de 20 % actuellement) est supposée libératoire (la prestation étant exonérée de toute taxation au moment de sa liquidation), ce principe ne s’applique en fait qu’aux seuls résidents luxembourgeois. Dans le cas des non-résidents, il faut s’en référer aux conventions préventives de double imposition, et celles-ci attribuent généralement le droit d’imposition de ces prestations à leur Etat de résidence. Dès lors, nul besoin d’être un éminent fiscaliste pour comprendre que le risque de double imposition est particulièrement évident. L’Etat étranger, qui dispose ainsi du droit d’imposer la pension complémentaire perçue par l’un de ses résidents, n’est évidemment pas tenu de renoncer à cette compétence, tout simplement parce que le Luxembourg a modifié unilatéralement ses propres règles fiscales, annihilant de ce fait l’effet de ces conventions qu’il avait lui-même conclues. Dès lors, il fallut renégocier tous ces accords internationaux en espérant que les Etats partenaires acceptent de renoncer à leur pouvoir d’imposition. Ce qui n’était pas gagné d’avance.
Une adaptation très lente
Ce mouvement de correction fut amorcé en 2002, avec la modification de la convention belgo-luxembourgeoise. Cet avenant est intéressant à plus d’un titre dans la mesure où il a servi de modèle pour l’adaptation de bon nombre d’autres conventions fiscales auxquelles le Luxembourg est partie. Par cet avenant, il a ainsi été convenu qu’une pension complémentaire d’origine luxembourgeoise, découlant d’un plan de pension régi par la loi du 8 juin 1999, est exonérée de toute imposition dans l’Etat de résidence du bénéficiaire (en l’occurrence ici, la Belgique) à condition de pouvoir établir que le financement patronal a bien été imposé au Luxembourg. Une attestation de l’employeur en ce sens devrait suffire. Cela concerne non seulement la prestation octroyée à la retraite, mais aussi une prestation en cas de décès ou d’invalidité et ce, peu importe qu’elle soit liquidée sous forme de rente ou de capital (1). A contrario, la prestation financée au moyen de cotisations personnelles de l’affilié sera bien imposable dans cet Etat de résidence (2) puisque son financement n’aura, par définition, pas subi de taxation au Grand-Duché.
Contrairement à ce que l’on a pu croire à l’époque, cette renégociation de la convention belgo-luxembourgeoise n’amorça pas un vaste mouvement d’adaptation des autres conventions fiscales. Il fallut en effet attendre plus de deux ans avant de voir une autre convention internationale adaptée, à savoir celle conclue avec Israël, avant les conventions avec Saint-Marin et l’Estonie. Il ne s’agissait certainement pas là des Etats les plus concernés par cette problématique. Ensuite, plus rien avant 2009, moment où le Luxembourg dut renégocier une série de conventions internationales pour y introduire une procédure d’échange d’informations en matière fiscale. Mais ce fut, en partie, une occasion manquée car, sur vingt conventions revues dans ce cadre, seules cinq d’entre elles reprirent en même temps une disposition permettant d’éviter l’imposition à la sortie des pensions d’un régime complémentaire de pension découlant d’un financement patronal et versées à des résidents de ces Etats. En outre, les pays concernés, soit Bahrein, l’Arménie, le Qatar, Monaco et le Liechtenstein n’étaient sans doute pas les plus courus par d’anciens salariés luxembourgeois ! Par contre, à l’époque, pas un mot à ce sujet dans les conventions revues avec la France et l’Allemagne. En 2011, cette clause « régime complémentaire de pension » fut également introduite dans les conventions avec La Barbade et Panama… et, en 2013, dans celles conclues avec Les Seychelles, le Tadjikistan, le Kazakhstan, le Sri Lanka, le Laos, la Corée du Sud et enfin l’Allemagne. Par ailleurs, il est aussi à noter que certaines de ces conventions fiscales, mais c’est l’exception, n’ont pas à être adaptées car il n’existe tout simplement aucun risque de double imposition. C’est, par exemple, le cas avec la Russie et l’Arabie Saoudite. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit en fait de conventions fiscales qui prévoient comme principe l’imposition de toutes « pensions » dans l’Etat de leur provenance (ou autrement dénommé « Etat de la source ») sans autres conditions. Ce qui exonère automatiquement les prestations issues de plans de pension luxembourgeois dont le financement patronal y a déjà été imposé.
Mais, ce qui interpelle le plus, c’est que quelques conventions fiscales nouvellement conclues ne reprennent aujourd’hui aucune clause d’exonération en matière de ces pensions complémentaires d’entreprises, comme les conventions avec l’Azerbaïdjan, la Malaisie, la Turquie, la Géorgie, Hong Kong ou encore la Macédoine. Dans ces conventions, c’est l’Etat de résidence qui reste toujours seul compétent pour imposer ces prestations. Même s’il ne s’agit pas de pays les plus prisés par d’anciens affiliés à des plans de pension luxembourgeois, une telle attitude pose toutefois question.
Aujourd’hui, mis à part ces quelques cas, il faut tout de même reconnaître qu’un pan important des conventions luxembourgeoises se trouve réaménagé dans le domaine des pensions complémentaires d’entreprises. Néanmoins, il en demeure encore qui restent sur le carreau, et non des moindres, où aucune exonération en la matière n’est prévue pour leurs résidents: il s’agit, entre autres, de la France (3), des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la Suisse, des Pays-Bas, de l’Espagne, du Portugal…
Il n’est pas permis de se contenter de prendre acte que telle ou telle convention contient bien une clause de type « régime complémentaire de pension » pour pouvoir en conclure que l’exonération prévue est alors octroyée selon le modèle de l’avenant belge.
Clauses à géométrie très variable
Lorsque la partie luxembourgeoise à une telle convention internationale réussit à convaincre son partenaire étranger d’introduire une clause d’exonération des prestations issues d’un régime complémentaire de pension grand-ducal, on pourrait imaginer a priori que l’on distillerait çà et là un même texte. En fait, assez curieusement, il n’en est rien. Lorsque l’on procède à un examen minutieux de ces clauses, il apparaît en fait que celles-ci sont à géométrie plus que variable! Il doit dès lors être conseillé d’examiner chaque convention concernée d’un œil attentif. Il n’est pas permis de se contenter de prendre acte que telle ou telle convention contient bien une clause de type « régime complémentaire de pen-sion » pour pouvoir en conclure que l’exonération prévue est alors octroyée selon le modèle de l’avenant belge. Loin de là. Dans certains cas, il peut s’agir de simples figures de style, mais, dans d’autres cas, les nuances peuvent aussi déboucher sur des conclusions différentes. Il est évidemment permis de s’interroger sur cette absence d’harmonisation, une situation qui ne peut qu’engendrer de l’insécurité juridique.
(1) Pour une analyse plus en détail de ces conditions d’exonération, voir Les pensions luxembour-geoises dans un cadre transfrontalier, Pierre Doyen, Kluwer.
(2) Dans le cas d’un résident belge, le taux d’imposition d’une telle prestation est fixé actuellement à 10 % à partir de 60 ans.
(3) Où la double imposition a été quelque peu atténuée, mais par loi fiscale française elle-même.