L’employeur face à l’usage des réseaux sociaux par ses salariés
Les réseaux sociaux, ayant pris leur essor dans la sphère privée, s’étendent également au domaine professionnel, notamment avec des sites tels que LinkedIn ou Viadeo dont l’objet est de développer un réseau professionnel. Les employeurs incitent aussi leurs salariés à utiliser ce média dans le but de promouvoir leurs services ou produits et d’élargir ainsi leur renommée.
Peut-on utiliser les informations publiées sur les réseaux sociaux dans le cadre d’un recrutement ? Peut-on contrôler l’utilisation des réseaux sociaux pendant (ou après) les heures de travail ? Est-il possible de sanctionner un salarié pour le fait d’avoir tenu et publié des propos dénigrants sur Facebook ?
L’utilisation par l’employeur des données relatives à un candidat collectées sur les réseaux sociaux : phase précontractuelle
Il est indéniable que les réseaux sociaux contribuent de plus en plus au processus d’embauche. Selon les statistiques(1), pas moins de 93 % des employeurs sont susceptibles de consulter les profils des candidats sur les réseaux sociaux et 52 % d’entre eux le reconnaissent.
Si les réseaux sociaux peuvent promouvoir les qualités d’un candidat à l’embauche et faciliter le recrutement, l’inverse vaut également. Ainsi, 35 % des recruteurs avoueraient avoir déjà écarté un candidat suite à des traces « négatives » trouvées en ligne. 65 % de ces refus sont fondés sur des photos ou des informations provocantes ou inappropriées, entre autres contenant des jurons ou des grossièretés ; 83 % de ces refus sont fondés sur du contenu lié aux drogues et 47 % à l’alcool…(2)
Face à ce flux d’informations librement accessibles, est-il légitime pour l’employeur de collecter des informations qui vont l’influencer dans son choix ? Il est légitime pour l’employeur de collecter les informations pertinentes lui permettant de juger au mieux de la qualification du candidat. Ainsi, dans le cadre d’un recrutement, les données collectées ne doivent servir qu’à évaluer la capacité du candidat rémunéraà occuper l’emploi proposé (qualification, expérience…).
Le pouvoir d’investigation de l’employeur connaît cependant trois limites :
- respect de la protection de la vie privée basé sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et l'article 11(3) de la Constitution. Toutefois, certaines informations relevant de la vie privée devront être divulguées si elles présentent un lien avec la fonction à occuper ;
- respect de la protection des données à caractère personnel basé sur la loi du 2 août 2002 telle que modifiée réglementant le traitement des données à caractère personnel. L’objet de la discussion est d’analyser si la simple consultation et prise de connaissance d’informations librement accessibles et disponibles sur les réseaux sociaux constituent un traitement au sens de la loi précitée. Selon certains auteurs belges, la réponse est négative(3) ;
- absence de discrimination. Les informations collectées via les réseaux sociaux ne doivent pas servir à fonder une décision basée sur un motif discriminatoire(4). Ainsi, il est interdit de collecter des informations touchant par exemple à la situation familiale, aux opinions politiques, à l’appartenance syndicale ou encore à l’âge, la race, l’origine, les orientations sexuelles, la religion… Toutefois, l’absence d’obligation de motivation d’un rejet de candidature soulève nécessairement des difficultés pour le candidat malheureux à prouver que le motif de son rejet est discriminatoire.
Réglementation et contrôle de l’utilisation des réseaux sociaux pendant la relation de travail
Utilisation pendant les heures de travail au moyen d’outils mis à disposition par l’employeur
L’employeur dispose de plusieurs moyens pour prévenir des abus et contrôler l’usage des réseaux sociaux par ses salariés.
L’employeur a le pouvoir de réglementer l’accès par ses salariés aux réseaux sociaux
Le salarié est soumis à une obligation de loyauté et se trouve placé sous la subordination juridique de l’employeur. Le salarié qui utilise les outils informatiques que l’employeur met à sa disposition est censé les utiliser selon un usage professionnel, que ce soit pendant les heures de travail mais également en dehors des heures de travail s’il s’agit du matériel mis à disposition du salarié par l’employeur et que la connexion s’effectue via le serveur de l’employeur.
Si une utilisation autre que professionnelle est autorisée, elle doit rester raisonnable et ne pas affecter la bonne marche de l’entreprise. Selon la jurisprudence, la nature et la finalité d’un contrat de travail entraînent l’obligation pour le salarié, en contrepartie d'une rémunération, de travailler et non pas de surfer sur Internet(5).
L’employeur a ainsi notamment dans ce cadre le pouvoir de :
- interdire la fréquentation de certains sites déterminés ;
- bloquer l’accès à certains sites déterminés ;
- autoriser l’accès à certains sites pendant les heures de pause uniquement.
Une telle réglementation d’accès aux réseaux sociaux est imposée soit au moyen d’une clause insérée au contrat de travail, soit par un règlement intérieur ou une charte sociale.
L’employeur a le pouvoir de contrôler l’accès par ses salariés aux réseaux sociaux
Ce pouvoir de contrôle de l’employeur doit être concilié avec le droit à la protection de la vie privée des salariés. En effet, le droit à la vie privée des salariés doit être protégé, même dans le cadre d’une relation de travail. La CEDH, par son arrêt de principe Niemietz, a étendu la notion de vie privée énonçant qu’« il serait toutefois trop restrictif de la limiter à un « cercle intime » où chacun peut mener sa vie personnelle à sa guise et d’en écarter entièrement le monde extérieur à ce cercle. Le respect de la vie privée doit aussi englober, dans une certaine mesure, le droit pour l’individu de nouer et développer des relations avec ses semblables. Il paraît, en outre, n’y avoir aucune raison de principe de considérer cette manière de comprendre la notion de « vie privée » comme excluant les activités professionnelles ou commerciales : après tout, c’est dans leur travail que la majorité des gens ont beaucoup, voire le maximum d’occasions de resserrer leurs liens avec le monde extérieur »(6). La jurisprudence de la Cour de cassation française énonce également le droit, même au temps et lieu de travail, au respect de sa vie privée(7).
Sur ces prémisses, l’employeur dispose d’un pouvoir de contrôle qui peut être mis en place dans les conditions suivantes :
- un contrôle ponctuel des sites visités est admis sans exigences particulières. Il faut toutefois que ce contrôle ne dégénère pas en un traitement de données à caractère personnel effectué de manière régulière et non occasionnelle(8). La CEDH a jugé qu’il n’est pas « abusif » qu’un employeur souhaite vérifier que ses salariés accomplissent leurs tâches pendant les heures de travail(9). Cette surveillance doit toutefois rester raisonnable et proportionnée ;
- un contrôle non occasionnel engendrant un traitement de données à caractère personnel demande le respect d’exigences de forme (a) et de fond (b) :
a) une autorisation préalable de la Commission Nationale pour la Protection des Données (CNPD) sera requise ainsi qu’une information claire et préalable des salariés concernés(10) et des représentants du personnel(11) ;
b) le contrôle devra avoir une finalité, c’est-à-dire une justification telle qu’énoncée par les dispositions légales. Le cas de recours sera nécessairement le besoin de protection des biens de l’entreprise. La notion de biens de l’entreprise couvre tant les biens corporels, meubles et immeubles de l’entreprise (systèmes informatiques, installations physiques) que les droits de propriété intellectuelle, les secrets d’affaires et de fabrication ou les informations confidentielles... Mais elle exclut la protection des intérêts économiques de l’entreprise autres que ceux liés à des biens meubles et immeubles clairement identifiables, ainsi que le respect d’un code d’éthique ou charte informatique.
Le contrôle devra être licite au regard des principes du secret de la correspondance et de la confidentialité des communications (exclusion des contrôles sur le contenu de messages de nature privée).
Le contrôle doit être proportionné, c’est-à-dire qu’il ne devra être ni permanent, ni général sur l’ensemble des données de connexion. La surveillance doit d’abord être ponctuelle et l’employeur doit respecter une certaine gradation dans l’intensification de la surveillance.
Utilisation en dehors des heures de travail au moyen d’outils personnels
Les salariés jouissent d’une liberté d’utilisation des réseaux sociaux en dehors des heures de travail. Cette liberté se trouve cependant limitée si une telle utilisation des réseaux sociaux engendre une violation contractuelle ou légale (violation d’une obligation de confidentialité, divulgation d’informations confidentielles, dénigrement ou harcèlement...).
Il est recommandé de mettre en place une charte décrivant les règles relatives à l’utilisation des réseaux sociaux en dehors des heures de travail et précisant que le non-respect de la charte ou toute violation des obligations contractuelles et légales impliqueront que les salariés concernés pourront être tenus responsables d’éventuels dommages et, le cas échéant, sanctionnés.
La publication par les salariés d’informations relatives à l’employeur sur les réseaux sociaux
Cette problématique implique la confrontation entre plusieurs droits et libertés fondamentales :
- le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’ homme et l’article 24 de la Constitution (et exposé dans l’arrêt Clavaud(12) de la Cour de cassation française dans lequel se profilent les contours de la liberté d’expression des salariés). Ce droit n’est toutefois pas absolu ;
- l’obligation de loyauté, de réserve et de discrétion du salarié envers son employeur consacré notamment par la CEDH(13) ;
- le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances garanti par l’article 8 de la CEDH et l’article 11(3) de la Constitution.
(a) Pour juger s’il y a abus à la liberté d’expression, il s’agit d’apprécier in concreto en fonction de l’ancienneté du salarié et de ses qualités professionnelles l’ensemble des éléments factuels en cause, c’est-à-dire tant les propos du salarié que le contexte dans lequel ceux-ci ont été formulés. Doivent être pris en considération :
- la publicité des propos (critiques divulguées au public/critiques émises en interne) ;
- l’intérêt public des propos (intérêt légitime à voir l’information divulguée) ;
- le préjudice subi par l’employeur ;
- la motivation du salarié (divulgation servant l’intérêt général et faite de bonne foi/animosité personnelle ou perspective d’en tirer un avantage personnel).
Ne sont couvertes par le droit à la liberté d’expression ni :
- les divulgations d’informations confidentielles et secret d’affaires (d’où l’importance de définir les informations et données considérées comme confidentielles) ;
- les atteintes à l’honneur et à la dignité de l’employeur ou d’autres salariés ;
- les faits donnant lieu à une qualification pénale tels que la calomnie, la diffamation ou les injures.
De plus, la limitation d’un droit des salariés de s’exprimer librement doit être justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché(14).
Si, en principe, un salarié ne peut être sanctionné pour le fait d’avoir critiqué oralement son employeur dans la sphère familiale, le fait de publier ces critiques sur le site d’un réseau social peut faire l’objet d’une sanction si le salarié, dans son espace privé tel qu’un réseau social, enfreint son obligation de loyauté, notamment en tenant des propos outrageants et dénigrants, en manifestant une intention de nuire ou en remettant en cause le pouvoir patronal et la politique générale de l’entreprise(15). En effet, la conciliation doit être faite entre le droit pour le salarié d’exprimer librement ses opinions et convictions, et le droit de l’employeur à son image.
(b) La distinction doit par ailleurs être faite entre les notions de sphère publique et de sphère privée.
La nature publique ou privée des propos publiés sur les réseaux sociaux dépend des paramétrages que chacun aura entendu définir. Les juges français ont retenu que « Facebook peut constituer soit un espace privé, soit un espace public, en fonction des paramétrages effectués par son utilisateur »(16).
Un message posté par un salarié sur son mur personnel accessible à tous peut être consulté sans violation du secret des correspondances puisque « la violation d’une correspondance privée suppose qu’un échange écrit ne puisse être lu par une personne à laquelle il n’est pas destiné, sans que soit utilisé des moyens déloyaux »(17). Un salarié devra donc assumer le risque quant aux paramètres de confidentialité mis en place par la personne sur le mur duquel il a posté un message.
La logique est la même concernant les messages échangés entre un groupe de personnes. Il a été jugé que « [la salariée] a choisi, dans le paramètre de son compte, de partager sa page Facebook avec « ses amis et leurs amis », permettant ainsi un accès ouvert... Il en résulte que ce mode d’accès à Facebook dépasse la sphère privée... L’employeur n’a pas violé le droit au respect de la vie privée »(18).
A contrario, relèvent de la sphère privée une discussion virtuelle ayant eu lieu dans un cadre que le salarié avait restreint à ses « amis » sur Facebook(19), des propos tenus sur Facebook et sur MSN Messenger accessibles aux seules personnes agréées et choisies par l’auteur en raison d’affinités sociales et amicales(20), ou des opinions exprimées sur un site d’informations accessible uniquement à des membres inscrits(21). On parle dans ce cas d’opinion exprimée dans une communauté d’intérêts.
(c) Un employeur pourra prononcer des sanctions disciplinaires si un salarié enfreint son obligation de loyauté et abuse de son droit à la liberté d’expression. Un licenciement sera justifié notamment en cas d’attitude injurieuse, insultes ou violence, propos outrageants, accusations diffamatoires, propos offensants ou mensongers, dénigrement, intention de nuire, ou encore remise en cause du pouvoir patronal et de la politique générale de l’entreprise.
En collectant les preuves des faits à l’origine du licenciement pour des motifs liés à l’usage par les salariés des réseaux sociaux, il est recommandé à l’employeur de prendre en considération deux problématiques : celle de l’admissibilité des preuves et celle de leur loyauté :
- s'agissant de l’admissibilité des preuves, la jurisprudence française a précisé que pour être admissible, les éléments rapportés doivent non seulement prouver l’existence des propos, mais aussi matérialiser leur caractère public et le lien de causalité avec le dommage subi par l’entreprise(22). Ainsi, il a été jugé qu’une simple attestation ou qu’une capture d’écran de propos publiés sur Internet constituait une preuve insuffisante(23). En revanche, un constat d’huissier est une preuve suffisante ;
- quant à la loyauté dans l’administration de la preuve, le principe du droit au procès équitable doit être respecté. Cependant, une preuve obtenue illicitement a pu être admise si le respect de certaines conditions de forme est prescrit à peine de nullité, si l’irrégularité commise a entaché la crédibilité de la preuve, ou si l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable(24).
(1) Sondage réalisé par la plateforme de recrutement Jobvite auprès de 1.600 recruteurs et professionnels des ressources humaines américains en juin 2013 ; Sondage réalisé par la plateforme RégionJobs auprès des sites du réseau RegionsJob et auprès des inscrits aux sites Exclusive RH et Focus RH du lundi 17 juin au dimanche 21 juillet 2013 sur un échantillon de 354 répondants travaillant dans les ressources humaines.
(2) Enquête réalisée par Région Job – 2013 cité par la CNIL, Fiche synthétique Candidats à l’emploi : protégez votre réputation sur le Web ;
(3) E. Plasschaert, Les réseaux sociaux et le droit social, coll de la Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles, Larcier, p.169, Sabine Cornelis, Médias sociaux et droit du travail, Wolters Kluwer, 2016, notamment.
(4) Articles L 241-1 et L 251-1 du Code du travail.
(5) CSJ, 12 novembre 2015, n° 41245 du rôle.
(6) CEDH, 16 décembre 1992, Niemitz c/Allemagne ; CEDH, 3 avril 2007, Copland c/ Royaume Uni.
(7) Cour cassation française, Chambre sociale, 2 octobre 2001, Nikon.
(8) CSJ, 12 novembre 2015, précité.
(9) CEDH, 12 janvier 2016, Barbulescu c/Roumanie.
(10) A noter toutefois que le consentement de la personne concernée ne rend pas légitime le traitement mis en oeuvre par l’employeur.
(11) Article L. 261-1 (2) du Code du travail.
(12) Cour cassation française, Chambre sociale, 28 avril 1988, Clavaud, n° 87-41.804.
(13) CEDH 14 mai 2002, De Diego Nafria c/ Espagne ; CEDH 12 septembre 2011, Palomo Sanchez et autres c/Espagne.
(14) CSJ, 23 juillet 2001, n° 24509 du rôle.
(15) Cour cassation française, Chambre sociale.
(16) CA Rouen, 15 novembre 2011.
(17) CA Reims, 9 juin 2010.
(18) N° 09/00343.
(19) CA Douai, 16 décembre 2011.
(20) N° 11-19.530.
(21) N° 14-10.781.
(22) CA Bordeaux, Chambre sociale, 1er avril 2014.
(23) CA Lyon, Chambre sociale, 24 mars 2014.
(24) Cour cassation Lux., 22 novembre 2007, n° 57/2007.