Julie Conrad : « Si on n’ose pas, on ne va pas très loin »

Âgée de 34 ans, Julie Conrad s’est déjà fait un nom tant dans le milieu du design national qu’international. Dans son pop-up de la rue des Capucins, on retrouve une large palette de ses talents. En mars dernier, le Soroptimist du Luxembourg lui a décerné le Prix de la Jeune Entrepreneuse 2021. L’occasion de rencontrer cette Creative Director et Product Designer qui a toujours la tête pleine d’idées.

Pouvez-vous nous brosser rapidement votre parcours ?

Je suis diplômée en Design. J’ai suivi un cursus de 5 ans à l’école de design CREAPOLE, à Paris, une école de référence dans le milieu. J’y ai appris beaucoup, notamment grâce aux nombreux stages que j’ai pu effectuer tout au long de ce cursus, notamment au sein de grandes Maisons. Je suis rentrée au Luxembourg et, en 2013, j’ai débuté mes activités en tant qu’indépendante, à Bonnevoie. Assez timidement au départ, Luxembourg n’étant pas une place reconnue pour être « branchée » en matière de design – le statut de designer n’y existe d’ailleurs pas –, puis avec quelques projets qui m’ont permis de travailler à temps plein et de créer, en 2020, ma S.à r.l. Julie Conrad Design Studio. J’ai eu la chance de pouvoir profiter de l’initiative de la Ville de Luxembourg pour disposer temporairement d’un pop-up au centre-ville et pouvoir ainsi mieux faire connaître mon métier et mes réalisations. J’espère que cela pourra continuer d’une manière ou d’une autre. La Ville a la volonté d’intégrer les artistes et designers au coeur de la capitale et je croise les doigts pour que ce projet aboutisse.

Vous avez déjà reçu de nombreux prix, le dernier en date étant celui de la Jeune Entrepreneuse 2021 qui vous a été décerné par Soroptimist Luxembourg et le Fonds Soroptimist Luxembourg…

En effet, l’Union Luxembourgeoise du Soroptimist International et le Fonds Soroptimist Luxembourg avaient lancé la 1ère édition du concours du Prix de la Jeune Entrepreneuse(1), doté de 5.000 EUR, dont les objectifs sont le soutien à l’entrepreneuriat féminin au Luxembourg, la mise en lumière de jeunes femmes et la reconnaissance de leur dynamisme et créativité. Je suis très fière et ravie de ce prix car il récompense aussi mon engagement, ma contribution au monde économique ainsi que le respect que je voue aux valeurs sociétales, notamment environnementales. Il m’a permis également de faire la connaissance de femmes, elles aussi très engagées, comme la présidente du Fonds Soroptimist, Bettina Scholl-Sabbatini, la responsable du projet, Joëlle Letsch, ou encore l’ancienne présidente de l’Union Luxembourgeoise du Soroptimist International, Christiane Sadler.

Depuis 2013, vous développez avec votre équipe des projets intrinséquement différents. Pouvez-vous nous en présenter quelques-uns ?

Il est vrai que nous sommes actifs dans de nombreux domaines : nous développons nos propres collections, travaillons à la demande des clients, de théâtres, d’événements spéciaux… avec le leitmotiv de promouvoir la production locale et l’éco-design. Nous travaillons notamment les bâches et le textile, que nous récupérons ici ou là, pour donner une nouvelle vie aux matières. C’est le cas de notre collection DONO – E Stéck vun der Bréck, qui est confectionnée à partir de la bâche en plastique qui entourait le Pont Rouge lors de sa rénovation et à partir de laquelle nous avons conçu des sacs à dos, des petites trousses, des abat-jour… fabriqués à Wiltz dans l’atelier protégé qui fait partie de Coopérations. Une autre de nos conceptions est le Dudoo, cette petite peluche qui est devenue la mascotte de l’association SOS Kannerduerf Lëtzebuerg. Nous avons également réalisé, avec la plasticienne Aude Legrand, qui vit et travaille au Luxembourg, la montre LOXO, numérotée à 300 exemplaires, pour laquelle nous avons choisi des couleurs modernes et qui changeront au fil du temps. Aucun des 300 exemplaires ne sera donc semblable dans quelques années. Récemment, pour le Pavillon luxembourgeois de l’Exposition de Dubai, j’ai réalisé une installation interactive, Artefacts, inspirée par les Péckvillecher, ces sifflets traditionnels luxembourgeois en forme d’oiseaux, réalisés en terre cuite et à la main. Je voulais que ce groupe d’objets en argile et en impression 3 D réagisse aux mouvements des visiteurs, résonne et les fasse plonger dans un monde où résonne une mélodie unique, à un moment M, en fonction de leurs interactions, le but étant que l’oeuvre communique avec eux dans un langage universel, capable de relier les esprits.

« Je pense qu’il ne faut pas réfléchir en termes d’homme ou de femme, mais en termes de motivation. Si une personne a envie de s’investir et de réaliser ses rêves, il faut qu’elle ose. »

L’économie circulaire est donc bien souvent au centre de vos projets ?

Oui, c’est généralement le fil conducteur, mais j’aime aussi jouer avec différentes matières ou techniques, allier production industrielle et artisanat local… L’économie circulaire permet souvent de développer des idées à partir d’objets ou de matières qui, au départ n’ont rien à voir avec le résultat final, c’est très motivant.

Quel est le projet que vous souhaitez développer depuis longtemps ?

Sans hésitation, du mobilier. J’aimerais créer ma propre collection, mais le processus est lent et cher. De plus, il faut se rapprocher d’éditeurs de design, qui sont tous à l’étranger, ce qui complique encore ce genre de projet.

Quels conseils donneriez-vous aux femmes qui souhaitent lancer leur entreprise ?

Je pense qu’il ne faut pas réfléchir en termes d’homme ou de femme, mais en termes de motivation. Si une personne a envie de s’investir et de réaliser ses rêves, il faut qu’elle ose. Dans mon domaine d’activité, que l’on soit une femme ou un homme ne change rien à la difficulté de progresser, de trouver des clients, d’accepter que le temps de créer sera supérieur à l’aspect commercial, donc financier… Le seul conseil que je pourrais donner, c’est qu’il faut être conscient(e) que cette expérience d’entrepreneur sera difficile, car elle demande du temps et des sacrifices, qu’il faut avoir envie d’apprendre constamment et surtout d’essayer. L’échec fait souvent peur, car, dans nos pays européens, il est vu et vécu comme un drame. Mais si on n’ose pas, on ne va pas très loin non plus. C’est un risque pour tous les entrepreneurs, jeunes ou plus aguerris, les 2 années passées ont bien prouvé que rien n’était jamais acquis.

Propos recueillis par Isabelle Couset

www.jcds.lu

Prix décernés à Julie Conrad :

• Janvier 2019, lauréate du FD100 de VIA
• Février 2020, gagnante du concours 75 ans, OEuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte
• Juillet 2020, gagnante du concours Is(o)lands, Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg & Kinneksbond Centre Culturel de Mamer
• Avril 2021, lauréate du concours (catégorie Design intérieur) avec le projet CEGO | Circular by Design, un challenge de design circulaire porté par Luxinnovation
• Février 2022, lauréate 2022 de FD100 par le French Design
• Mars 2022, lauréate du Prix de la Jeune Entrepreneuse 2021, Soroptimist Luxembourg

(1) Une 2e édition du concours du prix de la Jeune Entrepreneuse sera lancée en 2022. L’appel aux candidatures se fera à partir du 15/09/2022.