Croissance qualitative et CO2,
un amour étouffant
Wat fir e qualitative Wuesstem fir eist Land? L’adoption du budget 2018 n’a pas manqué de raviver ce débat ouvert par le ministre des Infrastructures et du Développement durable sur les piliers d’une « autre » croissance. Pour la rendre qualitative, impossible de faire l’impasse sur la question de la « décarbonisation de l’économie ». Signataire de l’accord de Paris et lié par des engagements européens « contraignants », le Luxembourg a encore du chemin à parcourir. A pied, à vélo, à cheval, en bus, en tram, en train… dans l’idéal.
Malgré des progrès notables, le pays reste pour l’heure « peu vertueux », au-delà même de la seule question des émissions de CO2. D’après le Global Footprint Network, dont les indicateurs font souvent l’objet de discussions, le Luxembourg est le pays dont l’empreinte écologique par habitant est la plus élevée du monde. Elle mesure les surfaces dont les habitants d’un pays ont besoin pour produire les ressources naturelles qu’ils consomment et les déchets qu’ils produisent. Si l’ensemble de la population mondiale vivait comme le petit Grand-Duché, près de 8 planètes seraient nécessaires pour y faire face. En (plus) clair cela signifie que le Luxembourg est plus gourmand que ses capacités ne le lui permettent, comme l’ensemble des pays de l’Union européenne, mais dans des proportions bien supérieures. Certes, cet indicateur intègre la part de la consommation imputable aux non-résidents, non comptabilisés dans la population (tourisme à la pompe, transit, frontaliers). Pour autant, décideurs comme citoyens éclairés ne sauraient se contenter de ces « spécificités » si elles ne sont employées que comme des paravents pour éviter toute remise en cause de certains modes de production et de consommation actuels. D’après une étude du Conseil Supérieur pour un Développement Durable (CSDD), même « amputée » de la part attribuable aux non-résidents (16 % aux frontaliers et 22 % au tourisme à la pompe), l’empreinte des résidents demeure élevée comparée à la biocapacité nationale par habitant, et maintient le Luxembourg dans le « Top10 » des pays les moins frugaux du classement du Global Footprint Network. Ce mauvais « score » du pays s’explique en grande partie par son bilan carbone.
Aussi, si l’on revient à la problématique climatique, trois objectifs ambitieux s’imposent au Luxembourg à l’horizon 2030 dans le cadre de l’accord de Paris :
- réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 2005 (- 43 % pour les secteurs couverts par le marché du carbone – industrie, énergie, aviation – et - 30 % pour les secteurs hors marché du carbone) ;
- porter la part des énergies renouvelables à 27 % contre 5 % aujourd’hui ;
- baisser la consommation énergétique d’1/4 par rapport au scénario tendanciel.
Des efforts irréalisables vu la croissance démographique actuelle ?
En prenant le scénario d’un Luxembourg à près de 800.000 habitants en 2030, l’objectif de 40 % de réduction reviendrait à une baisse inédite (hors marché du carbone) de 65 % des émissions de CO2 par habitant, contre une baisse moyenne de 33 % à l’échelle de l’Union européenne.
Si, dans l’absolu, l’effort paraît irréalisable, un regard sur les évolutions récentes suggère au contraire qu’il ne faut pas injurier l’avenir… Sur la période 2005-2014, ces émissions ont reculé de 15 % tandis que la population faisait un bond de 19 %. Résultat : les émissions par tête sont passées de 22,6 tonnes d’équivalent CO2 à 16,1, soit une baisse de 29 % en 9 ans seulement, ce qui est loin d’être négligeable (voir graphique ci-contre).
Où agir ?
Le secteur des transports est de loin la composante la plus importante du bilan carbone (58,5 % du total des émissions totales contre environ 1/4 pour l’Union européenne) et plus spécifiquement les ventes de carburant aux consommateurs transfrontaliers. Ces dernières représentent à elles-seules 43,5 % du total des émissions de CO2. Mais ces « exportations » de carburant ont reculé de 19 % entre 2005 et 2014, expliquant dès lors 80 % du recul des émissions luxembourgeoises hors industrie-énergie-aviation !
Une « simple » annulation des incitations aux ventes de carburant aux clients transfrontaliers (en clair, un alignement des accises qui effacerait les différences de prix des carburants avec les pays frontaliers) permettrait d’atteindre les objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre, mais une politique volontariste de décarbonisation ne saurait se contenter de ce tour de passe-passe (potentiellement dommageable pour les finances publiques). Les ventes de produits pétroliers alimentant par exemple déjà partiellement le Fonds climat et énergie, une approche graduelle constituerait plus généralement à flécher une partie de plus en plus importante des recettes pour financer la transition. En matière de transports, les mesures sont à muscler pour améliorer l’efficience énergétique des déplacements (réduction de la consommation des véhicules, électrification du parc, accélération du recours aux transports en commun et à la mobilité douce), mais aussi pour réduire les déplacements eux-mêmes (aménagement optimisé du territoire, télétravail, covoiturage, etc.).
Mais les efforts ne sauraient se cantonner aux transports. Ainsi, en matière d’aménagement du territoire, le CSDD, et d’autres, dénoncent notamment l’utilisation extensive des sols et la dispersion du bâti… Il y a donc encore matière à balayer devant notre porte.
Comment agir ?
Plus généralement, il sera inévitable de mettre sur la table l’ensemble des mesures esquissant une stratégie de transition énergétique pour la prochaine décennie afin de s’assurer qu’elles forment un tout cohérent. La transition énergétique sollicite en effet des politiques publiques agissant sur plusieurs fronts : l’accompagnement à l’évolution des comportements individuels (l’éducation notamment), l’amplification et l’implémentation des innovations ainsi que la mise en oeuvre d’outils financiers et fiscaux (incitatifs et coercitifs) pour accompagner cette transformation et intégrer toutes les conséquences sur la sphère économique, sociale et environnementale dans une vision de long terme.
Cet exercice de longue haleine est d’autant plus difficile qu’agir en « cavalier seul » pourrait s’avérer risqué vu la taille du pays. En outre, certains leviers d’action sont limités par son ouverture et son intégration à des réseaux transfrontaliers (transports, énergie, commerce…).
A l’heure où le pays s’interroge sur les piliers d’une croissance (plus) qualitative, sur les modalités de mise en oeuvre de la Troisième Révolution Industrielle et que la « bataille » pour l’espace fait rage, devenir (beaucoup) plus économe, à défaut de malthusien, semble donc impératif. Ne serait-ce que pour respecter ses objectifs climatiques le pays devra opérer des changements en profondeur… au risque d’ébranler quelques « totems ».
Fondation IDEA asbl